Existentialisme

En quête de sens – 4 questions existentielles

Les esprits curieux sont plus susceptibles que d’autres de s’interroger sur la question du sens. Ils se demandent quelle signification accorder aux événements de l’existence, aux règles de la Société, aux conventions. Ils se questionnent sur le sens de la vie en général et celui de la leur en particulier. Quelle place a notre petit être dans l’infinité de l’Univers et du Temps ? Comment trouver sa place et faire compter nos heures ? Ce type de réflexion peut être provoqué de façon brutale par un incident malheureux ou apparaître de façon spontanée, avec pour catalyseur une capacité à la métacognition. Elle peut être brève ou nous accompagner longtemps, prendre la forme d’un tsunami ou d’un fleuve tranquille.

L’expression « question existentielle » est souvent tournée en dérision, au point de parfois désigner une interrogation inutile voire futile, qui n’a pas lieu d’être ou que l’on ferait mieux d’éviter. Il est vrai que parfois l’on préférerait ne jamais avoir à contempler les enjeux fondamentaux de la condition humaine, ou une fois que cela est arrivé remettre des œillères et ne plus y être confronté. Lorsqu’ils nous assaillent, ils peuvent entraîner une forme bien particulière de dépression dite « existentielle ». Et pourtant si nous les apprivoisons, ils peuvent en réalité nous permettre de vivre plus pleinement. Alors êtes-vous prêts à mieux faire connaissance avec eux ?

Démarrons en terrain connu

Bien que la question se soit posée dans d’autres traditions depuis des temps immémoriaux, la France est un haut lieu de la philosophie existentielle occidentale. Dès le XVIème siècle, Montaigne commençait à exprimer des réflexions qui allaient en ce sens. Un siècle plus tard, Blaise Pascal s’interrogeait lui aussi, notamment dans cet extrait :

Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante – memoria hospitis unius diei praetereuntis – le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraye et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a(-t-)il été destiné à moi?

Blaise Pascal

L’angoisse sur laquelle débouchent ces considérations était historiquement comblée par la religion, qui mettait en avant un mystérieux dessein divin pour toute réponse. Pascal a ainsi lui-même fait le fameux « pari » de l’existence de Dieu pour parer à ce que sa raison ne pouvait expliquer. Avec l’avènement des Lumières en Europe puis la Révolution Française, la méthode scientifique se développa, l’influence du clergé recula et au XIXème siècle le progrès semblait destiné à simplifier définitivement la vie de tout un chacun et à libérer l’humain de toute contrainte. C’est alors que se pointa un Danois, Soren Kierkegaard, qui, dépité de ne rien avoir accompli au cours de son existence et doutant de ses capacités à améliorer quoi que ce soit dans le domaine de l’ingénierie, se fixa un but singulier : rendre quelque chose plus difficile ! Il trouva ainsi dans son propre désarroi une piste prometteuse et fut considéré comme le « père de l’existentialisme ».

Malgré la contribution à ce courant philosophique par Nietzsche, on l’oublia quelque peu jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et puis l’existentialisme revint en terre française aux mains de noms bien connus comme Sartre ou Camus. Nous devrions donc être au fait de ce sujet, du moins de ses bases, vu la notoriété de ces auteurs et leur place dans les manuels scolaires. Et pourtant, ce qui vient généralement à l’esprit en songeant à cette joyeuse bande de penseurs c’est une vague impression qu’ils passaient beaucoup de temps à se faire des nœuds au cerveau enveloppés dans la fumée de cigarette, un verre d’alcool fort à la main. On louera volontiers leur génie littéraire sans trop savoir comment leur fiction a mis en lumière leurs pensées, et par contre on laissera leurs écrits philosophiques aux mains des philosophes professionnels, les seuls à pouvoir les endurer.

La psychologie rencontre la philosophie

Nous sommes ici aussi peu après la Seconde Guerre Mondiale, mais cette fois plutôt aux Etats-Unis. La psychologie est une discipline relativement récente, mais deux écoles s’opposent d’ores et déjà, l’une de tradition freudienne (s’intéressant notamment aux pulsions), et l’autre basée sur le behaviorisme (considérant que les comportements humains comme animaux sont de simples réponses prédéterminées, innées ou acquises, à des stimuli).

Plusieurs psychologues (dont Rollo May, Carl Rogers, Abraham Maslow) ne se satisfont pas de ces approches somme toute assez déterministes qui ne laissent que peu de place au choix, à la volonté, aux valeurs ou au potentiel humain. Ils considèrent que l’on ne fait pas que subir son environnement mais que chacun de nous co-construit sa propre réalité et sa propre expérience du monde en appliquant le prisme de sa pensée aux faits extérieurs. Par ailleurs, nous exerçons en retour une influence sur ces derniers. Ils fondent donc la psychologie humaniste, dont le courant existentialiste émergera bientôt.

On ne s’attardera pas plus sur les variations de paradigmes et nous ne nous intéresserons pas non plus à l’ensemble de la psychologie existentielle, mais seulement à une partie des travaux d’Irvin Yalom, qui est souvent cité dans ce domaine. Toutefois, un élément de la vision humaniste de la psychologie revêt ici un certain intérêt. En effet cette conception diffère notablement de la tradition philosophique et même psychologique française, cette dernière étant encore pétrie de psychanalyse. Dans son livre « La Thérapie Existentielle », Irvin Yalom explique :

« La philosophie existentielle européenne s’attache aux limites, à la confrontation et à l’intégration sur le plan individuel de l’angoisse de l’incertitude et du non-être. Les psychologues humanistes, quant à eux, s’intéressent moins aux limites et à la contingence qu’au développement du potentiel, moins à l’acceptation qu’à l’ouverture, moins à l’angoisse qu’aux expériences paroxystiques et au sentiment de former un tout avec le monde, moins au sens qu’à l’accomplissement de soi, moins, enfin, à l’être humain comme être séparé et à l’isolement fondamental qu’au Je-Tu et à la rencontre. »

Irvin Yalom dans « Thérapie Existentielle »

Mine de rien, je pense qu’il y a là quelque chose d’essentiel qui explique la propension, notamment dans la littérature sur la douance, à mettre l’emphase sur le développement, l’épanouissement, l’autonomie, l’effectance et l’agentivité du côté anglo-saxon, et inversement sur la souffrance liée à l’altérité du côté francophone. Je vous laisse méditer là-dessus. Par ailleurs, on pourra noter que la première orientation est celle suivie par Dabrowski dans la Théorie de la Désintégration Positive et par Ryan et Deci dans la Théorie de l’Autodétermination, sans oublier Maslow et Kaufman sur la question des besoins.

Dépression existentielle

Hélas, le premier contact que nous avons avec les questions existentielles prend souvent la forme d’une dépression ou du moins d’une crise. James T. Webb a consacré une bonne partie de son travail à étudier son lien avec la douance et postulé que les personnes à haut potentiel sont plus susceptibles que d’autres d’en faire l’expérience. En effet, il semble plus aisé à ce type d’individus qu’à d’autres de repérer les incohérences, les contradictions, les inconsistances, les invraisemblances, l’arbitraire ou encore l’absence de fondement. Selon Webb, il y a dans nos rangs un plus grand nombre d’idéalistes, qui s’attachent moins à ce que les constructions sociales sont qu’à ce qu’elles pourraient être et s’inquiètent de la marche du monde, plus d’idéalisme donnant lieu à plus de désillusion.

Il est habituel qu’une dépression soit déclenchée par un événement ou une cause externe qui touche une personne de manière directe. Il peut s’agir de la perte d’un emploi, d’une maladie, de l’usure de la précarité ou encore d’un deuil. Bien que tout cela puisse être une amorce de la dépression existentielle, elle peut aussi se déclencher de façon assez spontanée, sans qu’un observateur extérieur décèle une quelconque raison au mal-être.

Vous pourriez avoir été fraîchement promu, avoir une carrière étincelante devant vous, être dans une relation stable, avoir une belle maison, des revenus confortables, des amis et vos parents toujours à vos côtés, mais tous les jours en écoutant la radio sur le chemin du travail être désemparé devant l’absurdité du monde, des guerres, de la finance rapace, des manigances politiciennes. Et cela peut devenir insupportable d’encore entendre que telle espèce est menacée d’extinction, que les efforts mis en place ne suffiront pas à remédier à l’urgence climatique. Jusqu’à ce que tout vous blesse personnellement, le fait que l’on extraie du sable des fonds marins et que cela entraîne la disparition d’îles où habitent des gens que vous n’avez jamais rencontrés ou que l’on défriche sauvagement du terrain en Indonésie ou au Brésil pour planter des palmiers à huile ou du soja.

Rien n’a l’air d’avoir de sens. Et si par malheur l’astrophysique ou la physique quantique vous intéressent, que vous replacez la Terre dans l’immensité de l’Univers, le siècle en cours dans les 14 milliards d’années depuis le Big Bang (en se demandant au passage ce qu’est le temps, s’il a un début, … bref) et que vous vous demandez comment les quarks qui composent les nucléi de vos atomes arrangés en molécules ont bien pu faire pour créer de la vie et puis cette pensée particulière que vous êtes en train d’avoir, ben vous êtes encore un peu plus mal barré ! Tout peut sembler vain et absurde.

Les paragraphes précédents sont un exemple particulier de dépression existentielle. De manière générale, elle résulte d’une désillusion assez généralisée du sujet. Dès que nous venons au monde, nous intégrons une représentation du monde, influencée par nos parents, notre environnement social, et nos premières expériences. Lorsque cette construction montre ses failles et que survient la désillusion, tout ce référentiel se trouve sinon balayé complètement ébranlé et partiellement détruit, comme si le sol se dérobait sous nos pieds. S’ensuit un mélange de colère, d’affliction, de sentiment d’impuissance, avec pour conclusion à l’évaluation de toute possibilité une même question : « A quoi bon ? »

En résumé, le sentiment qui se dégage est : « si se conformer à des normes arbitraires est tout ce qu’il y a devant moi, qu’il n’y a pas de vérité absolue, que nous ne sommes pas permanents, fondamentalement seuls et insignifiants au regard de l’immensité de l’univers et du temps, à quoi bon ? »

On n’est pas foutu pour autant !

Il pourrait sembler vain d’entreprendre quoi que ce soit pour se sortir d’un tel marasme. Après tout, on ne changera pas le monde, et d’ailleurs le devrait-on même si on le pouvait ? Que faire ? En a-t-on les moyens ? En a-t-on le temps ? Et dans le futur, cela comptera-t-il toujours ?

Mais tout n’est pas perdu. Rappelez-vous que le point de départ de la psychologie humaniste était de considérer que l’expérience intérieure de chaque personne la mène à créer sa propre représentation de son environnement (et éventuellement d’agir sur lui). La vision pessimiste et désillusionnée des choses peut changer. Le souci à ce moment précis pour créer une nouvelle représentation du monde, c’est qu’on n’a pas de référentiel valable pour en dresser les plans. Des valeurs que nous avions internalisées ont été pulvérisées, d’autres seulement fissurées, alors que quelques-unes ont tenu vraisemblablement bon.

Comme pour tout édifice qui s’est effondré, on commence par déblayer les gravats pour faire place nette. Arrivent alors des ingénieurs qui évaluent la solidité de ce qui subsiste. Et oui, parfois, il faut démolir encore un peu plus avant d’atteindre des bases saines. Aussi inconfortable que cela puisse être, les travaux d’études en vue de dresser des nouveaux plans demandent alors d’examiner d’un peu plus près ce qui a causé la catastrophe. Si un bâtiment est détruit par un tremblement de terre ou des grands vents, on établit ce qui se passe sur le lieu de sa construction, et puis on détermine ce qui est nécessaire, par exemple une conception antisismique ou une forme aérodynamique. Dans notre cas, ce qui prend la place des éléments naturels, ce sont principalement les enjeux fondamentaux de la condition humaine.

Les quatre enjeux fondamentaux de la condition humaine

Irvin Yalom a isolé quatre enjeux ultimes qui sous-tendent la dépression existentielle, mais aussi les leviers pour en sortir :

1 – La mort

Il est évident que la mort en tant que telle a tendance à effrayer les humains, surtout dans notre société occidentale actuelle où nous y sommes peu confrontés (nul doute que sa perception a évolué à travers les âges et la géographie). Les questions soulevées sont relatives au processus et à la nature du phénomène en lui-même, au moment du « passage », mais aussi à l’après. Les chrétiens ont tenté de répondre à cette angoisse par divers éléments de croyance, dont le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer, le jugement dernier, la résurrection…

Mais il y a en réalité une interrogation sous-jacente que ces constructions voudraient apaiser, celle de la finitude. Nous avons un certain temps sur Terre pour mener notre vie et la faire compter. C’est dans cet intervalle qu’il convient de donner sens à notre existence. Cela met un peu de pression.

Certains chercheront des parades à cette limite temporelle. Yalom évoque deux stratégies finalement peu utiles : la croyance en sa propre exceptionnalité (en gros « certes, les autres meurent mais pas moi, ou dans tellement longtemps que cela ne vaut pas la peine d’y penser ») et celle dans un sauveur ultime (exister pour et par quelqu’un d’autre, humain, dictateur ou déité, qui nous dira quoi faire et ce qui est « bien »). Une variante de la première échappatoire serait que l’on se souvienne éternellement de nous, passer à la postérité, grâce à la renommée, au pouvoir que nous avons exercé ou, pour une toute petite minorité, grâce à la fortune que nous avons amassée. Parmi ces derniers, quelques-uns pensent par ailleurs partir dans l’espace, être cryogénisé, ou que d’ici leur vieillesse la vie éternelle sera à portée de main. Quoi qu’il en soit, tout le monde n’est pas Khéops et ne peut prétendre à ce que son nom perdure pendant plus de 4 600 ans.

L’idée chrétienne de vie après la mort relativisait tout cela en suggérant que l’enjeu n’est pas totalement dans le présent, ou du moins qu’il est scindé en deux : bien faire sur Terre (et en plus la religion proposait un mode d’emploi, ce qui n’est pas le cas dans l’existentialisme en vertu du principe de liberté fondamentale) et profiter après. Mais sans ce type de croyance, il faut faire les deux tant que nous sommes vivants, et de surcroît inventer son propre mode d’emploi !

Outre notre propre vie, la conscience de la finitude nous indique que rien ne dure éternellement, aucun succès, aucune prouesse, aucun mérite. Ceci peut nous amener à conclure que rien ne vaut la peine.

Mais d’un autre côté, la finitude nous encourage à vivre dans le présent. La mort, une fin à la vie, est essentielle pour nous faire savourer le temps que nous avons et l’utiliser au mieux de nos ressources. Nous ne sommes obligés à rien ni à aucun résultat, mais nous portons la responsabilité de l’utilisation de nos heures. La mort semble à première vue rendre vaine toute entreprise, mais une vie éternelle ne la rendrait pas moins vaine. Au contraire : quelle importance revêtirait quelque projet que ce soit au moment de sa réalisation, puisqu’après on pourrait toujours passer à autre chose ? Et une fois que l’on aurait tout essayé, quel ennui !

Il y a donc un côté pile et un côté face à la crainte de la mort : une certaine angoisse, mais aussi une saveur apportée à la vie.

2 – La liberté

A priori, on part sur un concept infiniment plus positif que la mort. Qui ne souhaiterait être libre plutôt que contraint ou réduit en esclavage ? Et pourtant il s’agit là aussi d’une perspective potentiellement effrayante.

La liberté au sens existentiel du terme nous dit que nous vivons dans un monde dépourvu de structure externe et de dessein prédéfini. A moins de croire fermement que la course du monde est régie par une déité, on se rend compte qu’il n’y a aucun plan, aucune indication sur notre conduite, rien qui nous permette de déterminer ce qui est bien ou mal.

On pourrait penser que les normes sociales, les lois, la culture jouent ce rôle de barrière et de compas. Mais de façon ultime, ces constructions sont le résultat d’un consensus d’humains, qui se sont plus ou moins tacitement accordés sur des limitations ou ont promu certaines actions. Cela ne garantit finalement aucune morale immanente et absolue. A un moment, des gens s’accordaient sur le fait que l’on pouvait capturer puis vendre et exploiter des esclaves ; nous subissons encore le reliquat d’une vision du monde où il était considéré comme normal que les femmes soient subordonnées aux hommes ; dans un futur pas si lointain, nous pourrions nous mettre d’accord sur le fait de prohiber l’extraction d’énergies fossiles. Tous les codes sont susceptibles de changer. Bien sûr je n’invite personne à transgresser la loi ! Par contre, tout un chacun est libre de militer et d’œuvrer pour faire évoluer les règles.

De la même façon que les citoyens ont des droits mais aussi des obligations, si l’on jouit de liberté, on doit supporter la responsabilité du choix de ses actes. Et c’est quelque chose que nous n’aimons pas des masses. Dans la perspective humaniste, chacun est l’auteur de son monde et est donc le seul à pouvoir déterminer ses actions, avec tout l’inconfort de ne recevoir aucune indication transcendante. Alors comment savoir si ce que l’on fait est bien, est utile, est moral, si tout le monde au fond a plus ou moins sa morale, ses valeurs, avec une signification qui lui est propre ? Il y a de quoi flipper un peu !

Mais la bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas pieds et poings liés et obligés de subir toute situation sans rien pouvoir y faire. Nous avons la liberté d’agir pour nous-mêmes ainsi que pour ce que nous pensons être le bénéfice des autres. Nous avons le pouvoir d’influer sur nos circonstances. Il y a certaines limites bien sûr, mais elles ne sont généralement pas aussi strictes ni aussi proches que nous voulons le penser. Autrement dit, nous sommes moins impuissants que nous le croyons. On peut prendre sa vie en main, en tant qu’individu, en tant que citoyen et globalement dans n’importe quel rôle que l’on endosse. Cela n’implique pas que l’on atteindra forcément une certaine « réussite », quelle que soit la définition qu’on en a, mais du moins nous aurons posé des actes en ce sens, et devrions avoir alors peu de regrets.

3 – L’isolement fondamental

L’existentialisme, ce n’est pas vraiment comme l’émission « Qui veut gagner des Millions ? » : on ne peut demander ni le 50/50, ni le vote du public, ni même au fond l’aide d’un ami. Bien sûr, on peut se faire conseiller dans la vie, se faire soutenir, s’informer. Mais au final, on est seul à prendre les décisions et à porter la responsabilité de nos choix et de nos actes.

Aucune personne ne pourra jamais se mettre complètement à votre place pour vous dire ce qu’elle ferait « si elle était vous ». En effet, nul n’est votre clone et le produit de votre combinaison unique de génétique, d’expérience et d’appréhension du monde. Donc personne ne peut vous dire exactement quoi faire. Et si l’on pousse un peu la vision de la psychologie humaniste, si chacun est auteur de son propre monde, n’y est-il au fond pas seul ? Il peut y avoir des intersections avec d’autres mondes, mais deux d’entre eux ne peuvent jamais se superposer complètement. Peu importe combien nous voulons être en connexion avec autrui, il restera toujours un vide impossible à combler. Voilà encore une source d’angoisse existentielle.

Cependant, la reconnaissance de l’isolement fondamental est ce qui nous permet d’être des individus à part entière. Irvin Yalom nous rappelle que l’étymologie du verbe « exister » a à voir avec le fait de se détacher, de surgir. Dans un deuxième temps, il aurait le sens de « se manifester ». C’est au fond ce qui nous permet de devenir notre propre autorité, d’exprimer nos limites, nos besoins, d’acquérir une personnalité (au sens de Dabrowski, de choisir nos valeurs et notre façon de vivre) et de nous autodéterminer. Encore une fois, c’est un poids et un privilège.

4 – L’absence de sens

L’absence de sens est la résultante des trois enjeux fondamentaux précédents, surtout de leur côté angoissant. En effet, si rien ne dure (finitude), s’il n’y a aucun plan transcendant pour nous guider, que tout est au fond arbitraire (liberté), que nous sommes seuls à décider nos actions (isolement), quel sens a notre existence ? Pourquoi entreprendre quoi que ce soit ? Lorsque ce questionnement devient envahissant, qu’il nous paralyse, on peut pleinement parler de dépression existentielle.

Il n’est pas facile de répondre à cette absence de sens ou d’y trouver un côté positif. Chacun aura de nouveau la responsabilité de trouver pour lui-même son sens. Les pistes proposées par Yalom prennent la forme de certaines valeurs souvent citées par les personnes qui ont vaincu le sentiment d’absurdité (même s’il s’agit d’un travail permanent sur soi). Il parle notamment d’altruisme et de créativité. Pour Maslow, le sens s’apparente à la transcendance de soi. James T. Webb consacre un chapitre dans son ouvrage à des pistes qu’il juge saines, au nombre desquelles :

  • Créer son propre script de vie
  • S’impliquer dans de grandes causes
  • Développer des relations authentiques, se sentir en connexion (tout cela dans toute la mesure autorisée par l’enjeu d’isolement bien sûr, qui n’implique pas que l’on ne soit pas du tout connecté à autrui, mais seulement jamais complètement) et avoir recours au contact physique
  • Vivre dans le moment présent
  • Se concentrer sur la continuité des générations, enseigner, agir comme un mentor
  • « Faire des vaguelettes »

La dernière est ma préférée. Cette image fait référence à l’onde créée lorsque l’on lance un caillou dans une mare et qui s’éloigne de façon concentrique par rapport au point d’impact. Elle peut aller loin, et doucement aller toucher une feuille qui flotte, un roseau, un canard qui nage à la surface. Cela ne bouleversera pas la destinée de ces éléments du paysage, mais cela peut leur faire prendre une direction légèrement différente.

Autrement dit, nous avons la possibilité de poser des actions et d’être conscient que certaines d’entre elles auront un impact qu’on espère positif chez d’autres, même si nous ne saurons probablement jamais comment, ou quel sera le résultat exact. Cela peut être le cas du boulanger qui produit un pain de qualité pour ses clients autant que du chercheur qui travaille sur un traitement contre le cancer, ou du traducteur qui permettra à des personnes de découvrir des informations originellement écrites dans une autre langue. C’est sans fin et pourrait regrouper certaines des pistes énumérées ci-avant. En vivant en Société, nous pouvons tous avoir un rôle à jouer quelque part. Bien sûr il y a activités peu ou pas porteuse de sens (par exemple ce que David Graeber nommait les « bullshit jobs »…), mais nous n’y sommes pas piégés.

De la désillusion à la ré-illusion

Lorsque nous émergeons du questionnement existentiel, toutes ces considérations ne nous quittent plus jamais complètement. Toutefois, nous avons idéalement reconstruit notre propre référentiel pour nous aider à créer une vision du monde qui soit porteuse de sens. Au passage, nous avons fait le ménage dans nos valeurs et en avons intégré de nouvelles qui nous guideront et nous diront ce qui est important pour nous.

La Théorie de la Désintégration Positive décrit un tel cheminement, depuis l’intégration positive où l’on vit dans nos illusions initiales, en passant par la désintégration (niveaux 2 et 3) qui peut prendre la forme d’une crise ou d’une dépression existentielle. Au niveau 4, on constitue son nouveau référentiel et une fois arrivé au sommet de la montagne on vit selon ses principes. La théorie de Dabrowski est donc aussi un cadre qui peut nous aider à trouver nos réponses aux enjeux fondamentaux de l’existence.

La Théorie de l’Autodétermination décrit également un processus semblable, où l’on peut se défaire de valeurs introjetées qui ne nous conviennent pas et les remplacer par d’autres qui seront intégrées entre elles, et finalement pourvoyeuses de sens.

Quelle que soit la démarche cependant, elle ne nous amènera jamais à une vérité absolue. Nous devons au final remplacer nos illusions initiales par d’autres illusions. C’est une conclusion à première vue décevante. On pourrait avoir l’impression de tourner en rond, car rien ne nous garantit que ces illusions seront meilleures ; en tout cas elles ne seront pas plus « vraies ». Certes. Mais il nous faut bien accepter que l’absolu est hors de notre portée.

Par contre, ce que nous savons c’est d’une part que les illusions que nous choisissons nous serviront mieux et nous aideront à mener notre existence d’une façon plus déterminée, consciente et porteuse de sens à l’intérieur de notre monde teinté de nos propres représentations. D’autre part, notre nouveau référentiel ne sera pas figé, et cette fois, nous en serons convaincus de par notre propre expérience ; nous aurons donc le pouvoir de réévaluer nos bases et de modifier les éléments nécessaires à chaque fois que nous en aurons besoin.

Et ce qui est vrai au niveau individuel l’est aussi au niveau communautaire, voire global. Imaginez une Société dont les membres se sont majoritairement interrogés sur la question du sens et ont commencé à trouver des réponses. Imaginez les lois, les systèmes économiques (au sens premier, sans tous les artifices et les dérives de ceux qui existent) et sociaux, la conscience écologique d’une telle Société… Ne pourraient-ils être vecteurs de plus de bien-être, de satisfaction et de sens pour tous? Qui sait, peut-être que de la ré-illusion pourrait naître le réenchantement…

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