Besoins

De quoi avez-VOUS besoin ?

Dans le dernier article nous avons exploré les limites ou frontières personnelles et avons établi qu’elles devaient être respectées par notre entourage et par nous-mêmes. Cette fois, nous nous pencherons sur un concept qui leur est complémentaire : nos besoins. Ce coup-ci, il n’est pas nécessaire d’aller piocher dans le vocabulaire anglo-saxon pour trouver le mot adéquat. « Besoin » existe bel et bien en français, à tel point que nous croyons savoir parfaitement de quoi il s’agit. De plus, tout qui a fréquenté une école a sûrement été familiarisé à un moment ou à un autre avec la pyramide de Maslow, qui paraît tellement évidente qu’on ne s’y attarde guère. Muni de cet impressionnant bagage théorique, nous pensons avoir maîtrisé le sujet et être de vrais experts en la matière, n’est-ce pas ?

Dans ce cas, une question horriblement simple pour vous : quels sont vos besoins ? Ou autrement : là, maintenant, de quoi avez-vous besoin ? A la première version, vous avez probablement commencé à énumérer mentalement des besoins physiologiques, nourriture, chaleur, abri et une fois cela fait vous vous êtes peut-être gratté une seconde la tête en essayant de vous rappeler ce qu’il y avait au sommet de la fameuse pyramide… Ah ! ça y est ! L’accomplissement de soi. Et au milieu… euh… ben… Réalisant que c’était peine perdue, la plupart d’entre vous se s’est penchée sur la deuxième question, et là, pour l’immense majorité, à moins qu’il n’ait été midi moins le quart et que vous ayez eu un petit creux, ce fut le blanc intégral. Peut-être avez-vous songé que vous n’avez besoin de rien. Vous êtes sûrement la personne la plus heureuse sur Terre dans ce cas… Ah non ?

Alors, vous pensez toujours savoir ce que sont les besoins, et en particulier les vôtres ? Ou cela vaut-il la peine de s’y intéresser d’un peu plus près ? Suivez le guide !

Plantons le décor

Juste pour se fixer les idées, prenons une petite définition du mot « besoin » (celle du Robert pour être précis, car celle du Larousse est problématique, on y reviendra ; vous voyez que ce n’est déjà pas si simple…) :

Besoin : Exigence pour l’être humain ou l’animal, provenant de la nature ou de la vie sociale.

Le Robert – Dico en Ligne

Ensuite, il serait intéressant de rendre les choses concrètes en exposant des catégories de besoins. En réalité il existe peu de modèles des besoins humains qui allient les aspects physiologiques, souvent laissés aux mains des biologistes, et psychologiques, qui devraient intéresser les psychologues mais sont surtout le terrain de jeu des chercheurs en économie, management ou marketing. Les deux théories les plus citées sont celle d’Abraham Maslow et celle de Manfred Max-Neef. Puisqu’on est au moins familiarisé avec la première, gardons-la comme exemple. De toute façon notre but n’est pas de faire une étude théorique du sujet mais de nous amener à réfléchir à titre personnel sur nos propres besoins. Je vous laisserai donc faire connaissance avec la grille de lecture de Max-Neef par vous-mêmes si vous voulez approfondir le sujet.

Or donc, « de bas en haut », les besoins listés par Maslow sont (dans leur version complète à huit niveaux, et oui, je sais on n’a l’habitude en France que de cinq étages) :

  1. Besoins physiologiques : nourriture, eau, air, chaleur, sommeil, absence de douleur, santé, exercice physique, etc
  2. Sécurité : il s’agit non seulement de la sécurité physique (abri, protection contre les tigres à dents de sabre,…), mais aussi émotionnelle et psychologique (absence de relation toxique ou de traumatismes, santé mentale, …), et d’une certaine prédictibilité des circonstances de vie (ressources mettant à l’abri de la misère, ordre garanti par la loi, garantie des biens personnels, paix civile et militaire, …) 
  3. Amour et appartenance : Recevoir et donner de la considération dans le cadre de relations épanouissantes (famille, couple, amitiés, …), intégration au groupe social
  4. Estime de soi : confiance dans sa propre valeur, ses compétences, respect de soi-même, le tout alimenté par des succès, de la reconnaissance de la part d’autrui, etc…
  5. Besoins cognitifs : besoin de connaître, de comprendre, de trouver du sens
  6. Besoins esthétiques : Recherche de la beauté, de l’équilibre, notamment au niveau artistique, mais dans toute forme d’activité
  7. Réalisation (accomplissement) de soi : Fait de vivre à la hauteur de ses propres aspirations (qu’elles soient morales, professionnelles, familiales, etc), en accord avec ses valeurs, trouver sa propre place dans le monde tout en continuant à croître et à s’adapter, se sentir en harmonie et en paix avez soi-même
  8. Transcendance de soi : besoin lié à la spiritualité qui fait rechercher l’harmonie avec l’univers et les autres humains (voire le Vivant dans son intégralité) et pousse à aider autrui à atteindre la réalisation de soi

Laissez les gondoles à Venise et les pyramides à Gizeh !

Cela aurait été simple et plus graphique de les présenter sous forme de pyramide, mais que nenni ! Dans son livre « Transcend », le psychologue Scott Barry Kaufman s’est penché en détail sur les travaux de Maslow. Et vous savez quoi ? Maslow n’a jamais créé de pyramide pour représenter sa hiérarchie des besoins. Cette iconographie si attrayante a été élaborée par un consultant en management dans les années 1960 (son nom n’est pas cité, mais au vu du succès de son idée, on doit reconnaître qu’il faisait certainement du bon boulot dans l’ère pré-Power Point). Comme le dit Kaufman (ma traduction) :

« La théorie des besoins de Maslow est souvent représentée comme une progression par validation d’étapes, comme si une fois qu’on avait satisfait un ensemble de besoins, on en avait fini à jamais avec eux {…}. Comme si la vie était un jeu vidéo et que lorsque nous terminons un niveau, par exemple la sécurité, une voix venue d’en haut disait « Félicitations, vous avez débloqué le niveau appartenance ! », sans qu’il soit jamais nécessaire de revenir aux niveaux inférieurs de la hiérarchie. C’est une déformation grossière de la théorie de Maslow et de l’esprit de l’ensemble de son œuvre. »

Scott Barry Kaufman dans « Transcend »

Une métaphore plus appropriée que la pyramide pour suivre l’idée de Maslow serait celle des poupées russes, chaque enveloppe contenant tout ce qui précède. Cela se comprend aisément dès que l’on cherche les liens entre les niveaux. Par exemple, l’estime de soi se construit par la considération reçue de son entourage, qui nous renvoie l’idée que nous sommes une personne de valeur et digne d’être aimée. Il y a une forme d’intégration à chaque niveau et non une frontière avec ce qui précède.

Voguez avec le vent

Il y a une autre particularité des travaux de Maslow qui est méconnue, c’est que les besoins sont répartis en sous-catégories. Notamment, il existe des besoins de type « carence » (niveaux 1 à 4) et de type « croissance » (à partir du niveau 5). L’idée est en quelque sorte qu’il faut pouvoir « faire le plein » régulièrement en ce qui concerne les premiers niveaux mais qu’il existe un niveau optimal de satiété à partir duquel ils laissent volontiers la place à la croissance. S. B. Kaufman propose une autre lecture de cette distinction (en redéfinissant légèrement les termes et les lignes) et partant de là, une nouvelle métaphore : celle du voilier.

Je vous invite à visionner l’image du voilier sur le site de SBK (on n’est jamais trop prudent avec les droits de reproduction, donc je ne m’aventurerai pas à la copier ici). Dans sa vision, les quatre premiers niveaux (remodelés en trois) forment la coque du navire. Il s’agit de ce qui nous protège des flots et du mauvais temps, autrement dit des adversités de la vie. Les besoins physiologiques et de sécurité (combinés dans la notion de « safety »), de connexion et d’estime de soi forment à eux quatre un ensemble plus grand de sécurité/prévisibilité (« security ») qui nous permet d’affronter le monde avec suffisamment de stabilité pour garantir notre intégrité physique et morale.

C’est fort bien d’avoir une solide embarcation, mais si l’on ne dispose que d’une coque on ne pourra pas bouger (à moins de simplement se laisser emporter par le courant) et encore moins de se diriger. Une voile par contre assure ces fonctions (oui, j’imagine qu’un moteur et un gouvernail sont plus efficaces, mais la métaphore prend j’imagine aussi en compte le fait que dans la vie on doit composer avec les éléments pour choisir une destination et l’atteindre). Cette voile comporte grosso modo les niveaux 5 à 7 (la transcendance étant encore au-dessus de tout cela et donc au-dessus du voilier) ; ils sont renommés exploration, amour et purpose. « Purpose » est encore un de ces mots irritants à traduire en français. Cela fait à la fois appel au fait d’avoir une direction ou un but choisis avec intention et détermination mais aussi de se sentir utile et « à sa place dans l’univers ». Les trois pans de la voile constituent ici aussi les besoins de type croissance.

La ligne de flottaison

On comprend maintenant bien que les besoins ne correspondent pas seulement à une notion de déficit. C’est d’ailleurs pour cela que la définition du Larousse est problématique :

Besoin : Exigence née d’un sentiment de manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique (besoin de manger, de dormir). Chose considérée comme nécessaire à l’existence (« Le cinéma est devenu chez lui un besoin. »).

Larousse

Dans leur ouvrage sur la Théorie de l’Autodétermination, Ryan et Deci sous-tendaient leur définition d’un besoin par deux idées fondamentales :

  1. La privation de certaines ressources ou nutriments résultera dans des formes dégradées de croissance et une intégrité compromise, autrement dit sera néfaste et causera des préjudices ou des dégâts ;
  2. La mise à disposition stable et fiable de certaines ressources et nutriments facilite l’épanouissement et la complète expression de la nature et du potentiel de l’organisme.

Cela rejoint l’idée de Kaufman où la coque du voilier représente principalement l’absence de privation et la voile la mise à disposition de ressources favorisant la croissance.

Les Lecteurs ou Lectrices assidu(e)s se souviendront que Ryan et Deci ont déterminé trois besoins psychologiques de base, nommément l’autonomie, la compétence et la relatedness. A mon sens, ces trois besoins sont présents en filigrane dans la métaphore du bateau (avec en complément les considérations physiologiques). Le point d’inflexion où les ressources propres à satisfaire ces besoins passent de tout juste suffisantes pour constituer la protection d’un être qui s’estime à un être qui croît, tente de se réaliser et puis de se transcender formerait une sorte de ligne de flottaison, ou serait représenté par la naissance du mât. Pour moi, les besoins définis par la TAD restent tout à fait valables dans ce cadre et permettent une granularité et une finesse supplémentaire dans l’analyse.

Les besoins de sécurité/prévisibilité et de croissance ne seraient donc pas fondamentalement différents en nature, mais varieraient dans leur expression alors que l’on s’élève au-dessus des flots. La notion de hiérarchie que nous avions au départ s’efface de plus en plus dans les brumes marines.

« Une voile ? Non, mais c’est vraiment trop ! Je ne peux l’accepter ! », dit la Coque.

Pour certains, l’idée que l’on puisse avoir des besoins qui dépassent le niveau physiologique et la sécurité (et encore, à l’exclusion de la partie émotionnelle et psychologique) est assez saugrenue. On pourrait se percevoir comme capricieux de vouloir plus que cela. Oui mais voilà, ce n’est même pas une question de vouloir, mais d’avoir besoin. Il est clair que chaque besoin revêtira plus ou moins d’importance pour chaque personne, mais chacun d’entre eux n’en est pas moins légitime !

L’effet délétère de la précarité

Il n’est pas rare de regarder tous les « niveaux » de besoins excédant les plus basiques comme un plus, certes, mais dont on peut fort bien se passer. La réalisation de soi, qui est habituellement le cinquième et dernier niveau de la pyramide de Maslow (donc le seul petit bout de voile, et au final une toute petite surface de la pyramide qui ne doit pas être si importante que ça, nous dit notre cerveau influençable) est souvent considérée avec circonspection et balayée d’un revers de la main : « Oh, ce n’est pas pour les gens comme moi, ça. Si déjà on arrive à boucler les fins de mois et à garder un toit sur la tête, … ». Bien sûr, la dure réalité économique et sociale de nombreuses personnes ne peut être ignorée. Mais c’est précisément que des besoins absolument fondamentaux, de sécurité, d’appartenance et d’estime ne sont pas comblés de manière prévisible et stable en raison de la précarité.

Si ce n’est pas une coque que l’on a, mais une planche à laquelle on se cramponne, comment imaginer y fixer un mât et sa voile ? Ils risqueraient tout bonnement de faire chavirer le rafiot. Comment garantir à tout un chacun les ressources les plus basiques pour au moins émerger est un débat bien vaste qui excède largement le cadre de ces pages. Il s’agit d’un projet de Société.

Attention aux doctrines scabreuses

Indépendamment de ces contraintes évidentes, il existe aussi encore une certaine forme de morale moyenâgeuse qui voudrait nous mener à accepter notre sort sans tenter de l’améliorer. Dans cette vison, le sacrifice et l’abnégation seraient valorisables et récompensés (quand et comment, c’est une autre histoire). Dans une culture de moins en moins religieuse, cela perd de son sens.

Du reste, certaines dérives de techniques qui pourraient normalement favoriser la croissance, comme la pleine conscience, visent, dans les mains de certaines entreprises notamment, à apaiser les foules en appuyant sur l’acceptation. Et au travers de cette acceptation, accepter en fait que des besoins ne soient pas satisfaits. Peut-être bien que le niveau de stress ressenti par les employés qui pratiquent cela est moindre, mais est-ce à long terme et si l’on prend du recul une bonne chose pour eux ? Cela fait de belles statistiques au Département des Ressources Humaines, sûrement, mais c’est parce qu’elles ne peuvent pas mesurer tout ce qui compte.

Fata Morgana : le mirage de la réussite économique

Bien que la réussite professionnelle et financière soit érigée comme ultime moyen de réalisation de soi, si on n’y prend garde, elle peut se révéler être un leurre. Prenons un cadre moyen, qui en théorie voit ses besoins physiologiques et de sécurité bien comblés et n’a pas spécialement d’obstacles à sa croissance. Avec des clients, il déjeune dans de bons restaurants, il a une grande maison, une voiture de luxe, un compte en banque bien garni. Que demander de plus ? Et bien peut-être qu’à chaque fois qu’il ouvre la bouche il a peur de ce qu’on pensera de lui, qu’émotionnellement il ne se sent pas du tout en sécurité. Il a plein de collègues, mais pas de vrais amis. Parce que les salaires étaient plus attractifs, il a déménagé loin de sa famille. Et son mariage n’a pas tenu. Quand il rentre dans sa grande maison, il y est seul, parce que son épouse a emmené leurs enfants avec elle. De toute façon, avec tout son boulot, il ne les voyait pas beaucoup. En fait, en dehors de son travail, il n’a le temps pour rien. A bien y réfléchir, il est épuisé et s’est empâté à force de tournedos Rossini et de champagne ; il a du cholestérol et une tension trop élevée. Quand il y pense, il n’est pas fier de lui.

Bon, c’est caricatural, on est d’accord. Mais néanmoins, notre cadre factif, combien de planche a-t-il pour construire sa coque ? Est-ce suffisant ? Le bois des plus essentielles d’entre elles n’est-il pas en voie d’être vermoulu ? Il lui faut un carénage d’urgence ! Il n’a pas de quoi ajouter une voile, et de là où il est, il ne saurait probablement pas à quoi elle lui servirait.

Avaries et accalmies : Traumas et développement personnel

Encore une fois, lorsque les besoins les plus fondamentaux ne sont pas comblés, que l’on se place du point de vue de la Théorie de l’Autodétermination ou de la hiérarchie de Maslow, il peut se développer un traumatisme complexe, qui compromet la structure et ne permet pas d’avancer. Ne pas recevoir assez de validation, au contraire être la victime de brimades, laisse de nombreuses petites blessures qui empêchent un fonctionnement optimal. Mais du moins pour ceux qu’une grande misère n’ancre pas aux abîmes, rien n’est définitif : il est possible de guérir et d’avancer, de progresser dans la satisfaction de nos besoins.

Il est à noter que notre voile nous dirige souvent sur la voie de la solidarité en particulier lorsque l’on s’approche de la transcendance. Donc si devenir une meilleure version de soi-même est dans ce présent chapitre plus que jamais un privilège, ce n’est pas égoïste pour autant, et prend une tournure de plus en plus altruiste à mesure que l’on avance. Individuellement ou collectivement, cela peut devenir notre prérogative d’étendre à tous le privilège de pouvoir combler ses besoins.

Le cas inhabituel des kitesurfers

Il y a toutefois des exceptions à la problématique de la pose du mât sur une coque insuffisamment solide ou large. L’histoire est jalonnée d’exemples de personnes qui ont fait face à de terribles adversités, durant lesquelles tous leurs besoins de base étaient compromis, mais qui ont pendant ces périodes été portés essentiellement par leur voile. Je pense à Viktor Frankl qui a passé trois ans dans des camps de concentration, y compris Auschwitz, pendant la Seconde Guerre Mondiale et qui a observé de première main « qu’une vie intérieure laissait une place pour garder l’espoir et questionner le sens ». Il a survécu et est devenu un neurologue et psychiatre respecté. Je pense aussi à Gandhi qui a à plusieurs reprises jeûné jusqu’à mettre sa vie en péril pour défendre ses idéaux ; il connaissait une perpétuelle incertitude ainsi que la menace des camps adverses.

Ces personnes sont bien sûr exceptionnelles. On peut envisager qu’elles avaient atteint un niveau de développement qui touchait à la transcendance. L’image des kitesurfers me vient en tête pour les décrire. Dans cette discipline, les pratiquants ont une toute petite planche de surf accrochée à leurs pieds, et ils sont tractés et même élevés au-dessus de la surface de l’eau par une voile qui fonctionne comme un cerf-volant géant. On ne peut pas dire qu’ils n’ont pas de coque sous les pieds, mais elle est minimale et constituée de manière prépondérante de besoins d’estime de soi et d’appartenance bien consolidés. Cela est rare, mais cela existe et relativise de nouveau l’idée d’une stricte hiérarchie à valider.

Besoins et douance

L’expression des besoins de chacun est teintée par son tempérament, son identité, ses caractéristiques propres. Et donc la douance peut influencer leur forme. J’ai participé il y a quelques temps à un atelier dispensé par Intergifted nommé « Legitimizing your Gifted Needs » (« Légitimez vos Besoins de Personnes à Haut Potentiel »). C’était vraiment un cours riche en informations (mais que je vais essayer de ne pas trop divulguer pour ne pas marcher sur des platebandes qui ne sont pas les miennes).

Une constatation intéressante est que pour certaines personnes, notamment HPI, des besoins cognitifs ou esthétiques (bases de la voile, donc des besoins de croissance) sont particulièrement saillants. Ce sont eux qui viennent alors à l’esprit comme première nécessité. Et d’une certaine manière, c’est la bôme de la voile (la pièce de bois perpendiculaire au mât qui la sous-tend) qui est la plateforme à partir de laquelle nous finissons, souvent à l’âge adulte, par combler les besoins normalement plus fondamentaux. C’est en lisant, en réfléchissant, en nous sondant intérieurement, que nous découvrons que nous avons besoin de nous construire une coque. Et donc on se trouve un manuel de construction navale, et on démarre en descendant le long du mât, en construisant un pont et puis ce qu’il y a en-dessous.

En fait, de nombreux surdoués voudraient désespérément être des kitesurfers, qui prendraient la forme d’un pur esprit, libéré des contraintes du monde. Le problème c’est que leur planche n’est pas assez solide, et que leur voile n’est pas assez grande et ne peut pas s’élever assez haut pour avoir une prise adéquate au vent. Alors qu’ils rêvent de réalisation de soi, certains pensent que c’est l’estime de soi ou l’appartenance qu’ils n’atteindront jamais. Et à bien y réfléchir, ils ne connaissent pas toujours le pan émotionnel de la sécurité. Dans certains cas, le corps est lui aussi négligé à un certain degré, si pour un personne l’intellect est tout ce qui lui a jamais valu de la reconnaissance ; et ceux qui font du sport ne sont pas des intellos, selon la « sagesse » populaire.

De nouveau, ces carences sont vraisemblablement le résultat d’un traumatisme complexe. Il peut ne pas être du tout non lié à la douance, ou être teintée par elle et être dans ce cas plus spécifiquement qualifié de « gifted trauma ». Les solutions pour combler ces besoins seront spécifiques, mais en fait elles sont spécifiques à chaque individu, quelles que soient ses spécificités. Ils pourront trouver de l’information adéquate, de l’aide adaptée, des pairs, et finalement construire une plateforme sous leurs pieds avec de belles planches d’estime de soi.

Grâce à cette stabilité nouvellement gagnée, il sera possible d’ajouter de la voilure et éventuellement de se réaliser. « Accomplir son potentiel » a toutefois de quoi faire peur à un adulte HP, surtout s’il est multipotentialite. « Qu’est-ce que je dois faire pour cela » est la question qu’il peut se poser. Son potentiel est de fait supérieur à la moyenne au niveau intellectuel, mais ce n’est pas pour cela que chacune de ses parcelles doit être froidement maximisée pour répondre à des critères de désirabilité sociale. Il s’agit de réalisation en tant que personne, qu’humain, ce qui implique entre autres de concrétiser dans le monde certains talents ; c’est une façon de participer. Mais si les bases qu’il a déployées sont saines, notre surdoué aura compris cela et il évaluera sereinement ce que cela implique pour lui, de manière personnelle, ce que représente la réalisation.

Le dialogue de la coque et de la voile

Il arrive que des besoins de type « croissance » invitent à réévaluer des besoins de type « sécurité » (cela peut se produire dans l’autre sens, mais de façon un peu détournée). Par exemple, une personne qui se met à se préoccuper de l’impact environnemental de sa nourriture ou du bien-être animal pourrait décider de bannir la viande de son alimentation. Elle revoit ainsi la façon d’exprimer et de combler un besoin physiologique de base. La forme de la voile demande une petite modification de la coque.

Les besoins ne sont pas complètement figés. Certains aspects seront immuables, d’autres évolueront.

Vos besoins vous sont uniques

Les évaluer

Vu que la notion de besoins n’est finalement pas si évidente que cela, il vaut la peine de se pencher sur chacun d’entre eux à titre individuel, de faire quelques recherches, d’apprendre à les connaître, et de déterminer s’ils sont comblés pour vous. Par exemple, les besoins physiologiques de base ne seront pas un sujet sur lequel s’attarderont certaines personnes. Mais pour quelqu’un qui par exemple souffre d’un syndrome de malabsorption, la nutrition est un réel enjeu. Comme évoqué précédemment, pour les HPI les besoins cognitifs seront potentiellement très particuliers. Et caetera. Si vous déterminez que vos besoins ne sont pas adéquatement comblés, comment pourraient-ils l’être ? Je vous fais confiance pour trouver des références bibliographiques, des podcasts ou vidéos qui vous permettront d’explorer vos besoins, de vous les approprier et d’adapter les réponses adéquates. Il peut être parfois utile d’avoir recours à une aide professionnelle (thérapeute, coach, cours, …) pour cela.

Les besoins et les valeurs, notamment introjectées, entretiennent des liens. Pour reprendre un exemple déjà évoqué, on pourrait intérioriser que si l’on est intelligent, on n’a pas spécialement besoin d’être en bonne forme physique. Il arrive ainsi que l’on soit piégé dans des stéréotypes, que l’on ait absorbé les vues qui prévalent dans notre environnement social mais ne nous correspondent pas ou n’ont même aucun fondement. A ce titre, les éclairages de la Théorie de la Désintégration Positive ou de la Théorie de l’Autodétermination (Volet 1, Volet 3) peuvent être utiles. De la même manière que l’on ne valide pas les étapes de l’ascension de la défunte pyramide de Maslow, on ne valide pas l’examen de ses besoins une bonne fois pour toutes. C’est un processus dynamique.

Les communiquer

Il arrive parfois que l’on en veuille à notre entourage ou à nos collègues et patrons de ne pas nous donner ce dont nous avons besoin (c’est une plainte fréquente des HPI en particulier). Mais la vérité est que souvent nous ne savons pas nous-mêmes réellement ce dont il s’agit, ce que nous attendons. Nous ressentons seulement un manque et espérons qu’il soit comblé. Mais comment de tierces personnes, conscientes à des niveaux divers de leurs propres besoins, pourraient-elles savoir de manière infaillible ce qu’il nous faut, même en déployant la meilleure volonté du monde ? A la phase d’évaluation succède donc une phase de communication.

Les frontières personnelles visent notamment à garantir nos besoins. Par exemple, nous pourrions établir une limite sur notre de temps de travail pour garantir notre besoin de repos, notre nutrition (réalisation de plats équilibrés à partir de produits frais), notre besoin d’appartenance (activités en famille, entre amis), etc. Dans la Communication Non-Violente brièvement abordée dans l’article précédent, il est question d’exprimer le besoin dont dérive la solution à la situation problématique. Une déclinaison de ceux proposés par Maslow, Kaufman ou Ryan et Deci trouve sa place dans cette partie de la phrase.

Haut-hisse, moussaillon !

Vous voici devant votre voilier au départ d’un bout de chemin sur l’océan. Avant de quitter le port, c’est à vous d’examiner chaque planche, et chaque morceau de toile. Vous êtes seul responsable et seul maître à bord. Alors, marins d’eau douce, près à devenir des skippers expérimentés ?

Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.

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Sources :

  • “Self-Determination Theory – Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness”, livre de Richard M. Ryan et Edward L. Deci
  • “Transcend – The New Science of Self-Actualization”, livre de Scott Barry Kaufman
  • Legitimizing your Gifted Needs”, atelier proposé par Karin Eglinton dans le cadre de Intergifted

One Reply to “De quoi avez-VOUS besoin ?”

  1. Dynamique et très complet une fois encore 🙂
    J’ajouterai les besoins relationnels selon Jacques Salomé : Besoin de se dire, d’être entendu, d’être valorisé, d’être reconnu, d’intimité, d’avoir une influence sur son environnement et de créer – rêver.
    Avec l’expérience oui je confirme que la pyramide de Maslow n’en est pas une et que Kitesurfer n’est pas très confortable à moins d’avoir vraiment atteint un niveau de transcendance important. Reste que les besoins esthétiques et de contribution sont souvent très importants dans la sphère HPI telle que je la vois aujourd’hui.

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