Les frontières personnelles
Il y a des mots ou des expressions comme ça qui semblent exister dans une langue et être presque absents d’une autre. C’est le cas de « personal boundaries » ou « frontières personnelles ». Si l’on peut considérer cela comme un indicateur de quoi que ce soit, la page anglophone de Wikipedia à ce sujet n’a pas d’équivalent francophone. On trouve bien çà et là sur Internet des références à des frontières ou limites personnelles, souvent sur des sites québécois ou dans le domaine du coaching professionnel. Toutefois, cette notion n’a pas (encore) infiltré notre vocabulaire de tous les jours, ce qui montre le peu de sensibilisation que nous avons sur le sujet. Il est pourtant crucial. D’ailleurs, j’ai plusieurs fois évoqué dans des articles précédents le fait que nos limites et besoins pouvaient être ignorés (par notre entourage et nous-mêmes), ou que la colère nous informe sur ce non-respect. C’est exactement de « frontières personnelles » dont je parle, dans ces cas-là. Mais il semblerait qu’il soit grand temps de se pencher sur elles plus en détails.
Que sont les frontières ou limites personnelles ?
Définition(s)
Il n’existe pas de définition unique du concept de limites personnelles, mais une fois qu’on l’a saisi, cela devient assez intuitif. Voici quelques exemples de façons de les décrire :
Les frontières personnelles sont des lignes directrices, des règles ou limites qu’une personne crée afin d’identifier les modalités d’interaction de la part d’autrui qui sont raisonnables, sans risques et acceptables, et de déterminer la façon dont elle réagira si quelqu’un dépasse ces limites.
(Wikipedia, ma traduction)
Une frontière est une limite ou un espace entre soi et une autre personne, un endroit défini où l’on commence et l’autre finit. Le but d’instaurer une frontière saine est bien sûr de se protéger et de prendre soin de soi. {…} Des frontières saines peuvent aider les personnes à définir leur individualité et les aident à indiquer ce dont elles accepteront ou non la responsabilité.
(Joaquin Selva sur le site PositivePsychology.com, ma traduction)
Une frontière est une démarcation psychologique qui protège l’intégrité d’un individu ou groupe et aide cette personne ou groupe à instaurer des limites réalistes à sa participation dans une relation ou une activité.
(American Psychological Association Dictionary of Psychology, ma traduction)
J’ai un petit faible pour la deuxième. Les frontières déterminent littéralement nos contours, physiques, émotionnels, psychologiques ou encore temporels. Elles font de nous des individus distincts, nous permettent de développer une identité et de nous protéger (de l’extérieur mais aussi de nous-mêmes) en acceptant ou en refusant les termes d’une interaction ou une situation, et en pouvant exprimer notre volonté. Elles déterminent jusqu’où les autres peuvent entrer dans notre vie. Elles indiquent aussi en quelque sorte la façon dont on veut être respecté (par exemple, plutôt que d’être considéré comme le prolongement d’une autre personne ou un outil). Avoir des frontières saines (ni trop floues ni trop rigides) est à la fois un ingrédient et un produit d’une bonne santé mentale.
En psychologie, on parle parfois d’individuation, un processus par lequel on devient une entité unique et autonome, et ce au cours de plusieurs phases de sa vie. On considère généralement que les nouveau-nés sont dans un état de fusion avec leur mère pour les premiers mois de leur vie, ceux où ils dépendent particulièrement d’elle. Par la suite, ils commencent à percevoir leur mère comme un être séparé. Les enfants continuent à se différencier de leurs parents, si toutefois on leur en laisse la latitude. L’adolescence est souvent un moment d’individuation privilégié, où l’on cherche à affirmer sa différence avec ses parents, mais sa ressemblance avec ses pairs. L’âge adulte est celui où l’on est censé avoir acquis une identité propre, et donc des frontières (voire une personnalité, ce qui n’est pas simple si on la comprend dans le cadre de la théorie de Dabrowski).
Mais nous ne sommes pas tous égaux dans la bonne conduite de l’individuation et l’établissement de nos frontières personnelles, qui peuvent être plus ou moins bien définies, et parfois carrément absentes. Au cours de notre vie, il est possible aussi que nous ayons à les redéfinir, par exemple lorsque nous examinons nos valeurs et remplaçons celles qui ne nous correspondent pas réellement (notamment introjections) par d’autres qui nous servent mieux. Le processus ne connaît à proprement parler pas de fin et doit parfois être réactivé dans notre propre intérêt.
Petit interlude sémantique
Avant d’aller plus loin, il semble nécessaire d’examiner quelques points de sémantique. J’ai à certains endroits plus volontiers utilisé le terme de « limites », qui peut en théorie être utilisé de façon interchangeable avec « frontières », les deux ayant quasiment les mêmes définitions.
Toutefois, à mon sens la notion de frontière est plus formelle, au point d’en devenir parfois trop impersonnelle et de donner l’impression d’un mur opaque et infranchissable. Si on parle de « frontière physique », on pourrait avoir l’impression que la personne s’isole du monde et exclut de facto toute interaction. Par contre, lorsque l’on parle de « limites » dans le langage courant, on imagine soit quelque chose de purement physique ou physiologique et indépendant de la volonté, soit quelque chose que l’on peut repousser. Ainsi, les « limites physiques » seraient l’extrême de ce qu’on peut supporter, indépendamment d’un point que l’on a déterminé soi-même comme étant celui que l’on ne souhaite pas (laisser) dépasser. On dit aussi « tu dépasses les limites » pour avertir quelqu’un qu’il les a déjà franchies, tout en véhiculant l’idée que c’est seulement s’il décide d’aller un petit peu plus loin que cela deviendra tout à fait inacceptable…
Que l’on parle ici de frontières ou de limites, elles auront toujours les caractéristiques suivantes :
- Elles sont établies par la personne concernée, et fixées au point où elle le souhaite.
- Elles doivent être respectées telles quelles, là où elles sont posées ; il n’y a pas de zone grise ou de marge d’acceptabilité.
- Elles n’isolent pas du monde, mais fixent les règles du respect par les autres et par soi-même.
- Elles varient selon le contexte et les personnes avec lesquelles on interagit (un proche peut nous embrasser, mais pas n’importe quel étranger, par exemple).
Donc il faut imaginer ci-après un concept légèrement hybride, qui a l’inviolabilité d’une frontière, mais la fluidité d’une limite.
Déclinaisons des frontières
Pour rendre les frontières un peu plus tangibles et concrètes, il est possible de les considérer en catégories.
La plus évidente (on l’espère) est celle des limites physiques. Elles concernent le besoin d’espace personnel, le fait d’autoriser ou non une personne à nous toucher, et les besoins physiologiques (alimentation, repos, effort, etc…). Elles se prolongent dans l’intimité par des frontières sexuelles, qui incluent le consentement, les préférences, la contraception, les moyens de protection, etc.
Les frontières émotionnelles sont plus difficiles à définir. Elles se rapportent notamment aux sentiments que l’on veut bien échanger avec autrui, à la fois ceux que l’on accepte de partager et ceux que l’on accepte de recevoir. Il s’agira par exemple de ne pas se sentir responsable des émotions des autres (si on n’a rien à y voir), de ne pas accepter n’importe quelle décharge émotionnelle de la part d’autrui (être le réceptacle de toutes les misères, d’« emotional dumping ») ou de ne pas faire le bonheur de gens malgré eux. Puisque certains peuvent ressentir les émotions ambiantes, les frontières les aideront aussi à reconnaître quand il est préférable de se retirer d’un contexte pour se préserver. Elles visent aussi à empêcher que les émotions ressenties à un moment donné soient invalidées par notre entourage (par exemple, ne pas se laisser influencer par « tu as tellement de chance ; tu n’as pas le droit d’être triste », « mais non, tu n’as pas à être en colère pour ça », …). Ces frontières seront aussi un rappel de ne pas partager nos émotions à mauvais escient, afin d’éviter qu’elles soient utilisées contre nous.
Nous avons tous des idées, des opinions, une éthique, des valeurs, celles des uns étant aussi valables que celles des autres. Par conséquent, on ne peut nous imposer ce que nous devons penser, ce que nous devons faire. Les frontières intellectuelles visent à faire respecter nos positions et à valider nos besoins (autonomie, curiosité, stimulation mentale, compétence, créativité, …). Bien sûr, au travers du dialogue, nous pouvons changer d’avis ou évoluer. Nous pouvons ne pas être d’accord avec autrui, tout en débattant poliment ou en « se mettant d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord ». Le cas des propos ouvertement discriminatoires font évidemment exception (au fond, ils ne respectent pas les frontières des personnes discriminées) ; que l’on soit soi-même visé ou non, il sera normal de manifester sa réprobation.
Notre temps en une ressource limitée que nous devons gérer et répartir adéquatement entre nous et les autres. Dès lors, fixer des frontières temporelles peut nous aider à l’utiliser à bon escient. Cela implique de pouvoir reconnaître nos priorités (intrinsèques, comme nos loisirs ou notre famille, mais aussi celles qui découlent d’obligations) pour éviter la surcharge (c’est l’idée du « Do – Delay – Delegate – Drop »). Enfin, n’en déplaise à la cigale de la fable, nous pouvons faire valoir des limites matérielles sur ce que nous sommes prêts à donner ou prêter, nous assurer que nos biens seront correctement utilisés et traités. Il s’agit également de faire en sorte d’obtenir ce à quoi nous avons droit.
Chacune de ces frontières a son utilité. Bien sûr, dans les faits au jour-le-jour, on ne les décortique pas ainsi, et plusieurs d’entre elles peuvent se recouper. Dans toutes ces catégories, c’est notre droit le plus absolu d’exprimer notre accord ou désaccord et de le faire respecter.
Notons que si l’une des déclinaisons est intitulée « frontières émotionnelles », toutes ces frontières sont précisément gardées par les émotions. Elles sont les géomètres qui nous informent sur où placer la limite et les sentinelles qui la défendent. Rappelons qu’il s’agit de réponses physiologiques, de l’ordre du réflexe qui visent à nous préserver. Une tentative d’intrusion à l’intérieur du périmètre restreint déclenchera légitimement la colère, qui nous mobilisera en vue de faire respecter la démarcation. Si l’on outrepasse des limites physiques ou sexuelles, le dégoût peut également être activé pour nous faire fuir la situation malsaine. Les réactions seront diverses et variées, et ce ne sont ici que quelques exemples. La conceptualisation et l’expression des frontières feront quant à elles intervenir la réflexion consciente, mais toujours avec le concours de émotions, d’où l’importance de pouvoir accéder correctement aux informations qu’elles nous délivrent.
Des frontières saines
Ni trop ni trop peu
Je le disais plus haut, les frontières saines peuvent varier en fonction des contextes et des personnes impliquées. Autrement dit, elles sont idéalement flexibles. Leur but, après tout, n’est pas de ne rien laisser passer (que ce soit vers l’intérieur ou l’extérieur), mais de ne laisser traverser que ce que nous autorisons.
Si elles sont trop poreuses ou trop faibles (et a fortiori inexistantes), elles ne remplissent pas leur rôle. La délimitation entre le soi et le non-soi n’est pas claire ; il est dès lors difficile de savoir si l’on répond à ses besoins ou à ceux de quelqu’un d’autre, de dire non, d’avoir ses propres opinions. Il est par ailleurs aisé pour des personnes mal intentionnées d’utiliser ou de manipuler un individu qui a des limites mal définies.
Des frontières trop rigides ne sont pas davantage souhaitables. Elles auront pour effet de se couper du monde. Certains dans ce cas se montreront trop agressifs face à tout qui s’approche. D’autres se rendront invisibles et feront en sorte que leur royaume ne soit pas même trouvé. Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible d’obtenir la satisfaction de ses besoins dans ces circonstances, vu qu’elle dépend entre autres d’interactions sociales.
Entre les deux, il y aura des personnes qui utilisent leurs frontières de façon erratique : elles les rendront à certains moments rigides, et à d’autres ouvriront grand les portes. Elles ne savent pas forcément que faire ou manquent de contrôle sur la situation. Cela engendre de la confusion autour d’elles.
La situation idéale est donc celle où les frontières sont flexibles. Elles ne seront pas pour autant floues, puisqu’il sera possible à tout moment de déterminer les raisons qui font que le passage est permis ou non. C’est comme si chaque personne ou situation recevait son propre laisser-passer, lui donnant accès à une certaines partie du royaume. Si jamais elles s’aventurent là où elles ne sont pas autorisées, des postes de garde disséminés leur refuseront l’entrée. Les envahisseurs seront quant à eux fermement maintenus à l’extérieur.
Respecter autant que se respecter
Des frontières saines nous protègent également de nous-mêmes et nous empêchent d’en faire trop, d’être exagérément généreux, de nous épuiser. Mais elles nous évitent aussi de dépasser les bornes avec les autres. Chacun a le privilège d’établir ses frontières en vue de (faire) respecter ses besoins et intérêts. Toutefois, nous vivons en société, et il s’agit aussi de respecter les limites des autres tout en étant en relation avec eux. Les limites saines doivent permettre et garantir cela. L’idée n’est pas de s’imposer brutalement à autrui, mais de pouvoir communiquer et interagir sereinement et avec respect.
Par exemple, si vos frontières au niveau matériel sont saines, vous ne vous laisserez pas dépouiller, et en même temps vous n’irez pas voler quoi que ce soit. Comme le dit Tim Fletcher dans une de ses interventions, les limites nous sont inculquées en premier ressort par notre éducation. Il est bien sûr possible de les réévaluer par la suite, puisque toutes les internalisations ne sont pas bonnes à prendre. Toujours est-il que lorsque nous sommes petits et qu’on nous fixe des bornes à ne pas dépasser, on n’aime pas cela. Quand bien même, cela est essentiel, car dans une Société où chacun est incapable de se fixer des limites qui respectent autrui, il faut une force extérieure pour les y obliger. Et ça ressemblerait à quoi? A un état policier sûrement. Il paraît évident que ce n’est pas ce que l’on souhaite. Alors autant avoir des frontières saines.
La communication
Du côté de l’émetteur
Une personne qui a défini ses propres lignes de démarcation et est capable de les exprimer tendra vers une communication dite assertive ou authentique. Mais contrairement à ce que certains pensent erronément, l’authenticité ne signifie pas être « 100% cash » ni dire ou faire tout ce qu’on veut sans aucune retenue. Chaque royaume a ses diplomates s’il veut maintenir la paix avec ses voisins, ce qui implique parfois des concessions raisonnables. Hélas, nous ne sommes souvent pas éduqués à communiquer sur nos sentiments et nos besoins. Ce n’est pas inné et ce n’est pas évident.
Des auteurs ont développé des techniques pour cela, qui ne sont pas applicables seulement en entreprise. Un exemple est la Communication Non-Violente. Sans rentrer dans les détails, si on en applique les conseils, les phrases employées sont de ce type :
« Lorsque {Description objective et sans jugement de la situation}, je me sens {sentiment} parce que {brève explication}. Ce dont j’ai besoin est {solution qui fait respecter les limites}. »
La partie d’explication est facultative ; il n’est pas nécessaire de se sur-justifier. En exemple, cela pourrait donner : « Tu as pour la troisième fois 15 minutes de retard à une réunion de groupe sans nous avoir prévenus. Lorsque cela se produit, je me sens irritée car le temps de plusieurs personnes est gaspillé. J’ai besoin que tu mettes en œuvre le nécessaire pour arriver à l’heure. » L’objectif est d’être assertif sans être agressif (et sans être manipulateur, car certaines personnes maîtrisent tellement bien la techniques qu’elles la dévoient ; il faut en être conscient).
Dans certaines circonstances, un simple « Non. » peut suffire. Il n’est pas systématiquement nécessaire d’offrir du contexte, encore moins de se justifier. Comme le dit une formule bien sentie : « ‘Non’ est une phrase complète ».
Du côté du receveur
Bien sûr, l’idéal est que la personne à laquelle une frontière est signifiée la comprenne et l’accepte sans rechigner. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, il arrivera que la contrepartie ne montre pas la considération que l’on espère, trouve qu’on fait des manières et tentera d’invalider la limite. Parfois on pourra complètement l’envoyer balader et la sortir de notre vie pour éviter à l’avenir cette conduite inacceptable, mais parfois cela peut venir de proches, dont on ne souhaite pas se couper totalement.
Insister un peu suffira dans certains cas, mais si cela ne fonctionne pas, une stratégie alternative pourra être de ne pas du tout leur donner l’occasion de franchir la ligne, en omettant de leur dire certaines choses, en rangeant des objets tels que des journaux intimes là où ils ne mettront pas la main dessus, en utilisant des mots de passe, en mettant de la distance géographique ou temporelle avec eux, ou en instaurant des limites complémentaires en amont qui quant à elles seront comprises. Toutefois, si le proche reste objectivement toxique malgré ces mesures dissuasives, la seule solution reste la rupture totale des liens, aussi douloureuse soit-elle.
Rappelons qu’une personne qui est incapable de respecter les limites des autres a souvent elle-même des limites qui ne sont pas saines. Il se peut qu’à un moment elle en prenne conscience et y remédie, ce qui rendrait la communication à nouveau possible.
Les « maladies » des frontières
Il existe diverses dynamiques dysfonctionnelles qui s’attaquent à nos frontières depuis l’intérieur, les empêchent de bien se former et les rendant trop faibles ou trop rigides, ou profitent de leurs imperfections. Elles sont généralement liées de près ou de loin à un traumatisme complexe, développemental ou un syndrome de stress post-traumatique. Maintenant, de l’œuf ou la poule, ou plutôt de frontières peu saines ou du trauma, qu’est-ce qui arrive le premier ? Difficile à dire. J’hasarderais l’hypothèse que dans l’enfance les limites ne sont pas encore fixées et qu’un trauma développemental les empêcherait de se former d’une manière appropriée. Dans le cas d’un adulte, si des démarcations appropriées existent, elles pourraient être soufflées ou inversement brutalement rehaussées par un événement cataclysmique (cas du SSPT) ou lentement sapées ou au contraire rigidifiées par de nombreux événements blessants. Quoi qu’il en soit, la (re)construction des frontières est un outil important pour sortir du trauma.
Puisqu’elles sont souvent plutôt insidieuses et méconnues, penchons-nous sur quelques-unes de ces dynamiques dysfonctionnelles, dans lesquelles les frontières sont trop faibles.
La co-dépendance
La co-dépendance est une relation asymétrique dans laquelle une personne se repose sur une autre pour combler ses besoins émotionnels et d’estime de soi. Cette dernière fera passer ses propres besoins au second plan au bénéfice de sa contrepartie et ne percevra sa propre valeur que dans le fait de répondre aux attentes de celui ou celle qui est en position « dominante ». Cela peut se produire dans un couple, entre amis, entre un patron et son employé ou encore entre un parent et un enfant ; les combinaisons possibles sont nombreuses. Les comportements en cause peuvent être assez évidents ou au contraire très subtils. Dans tous les cas, les frontières des deux protagonistes sont floues, voire ont fusionné, comme si le « donneur » avait été absorbé par le « receveur ».
L’enchevêtrement familial
Il y a des familles qui semblent tellement unies et exemplaires, et qui pourtant ne fonctionnent pas d’une façon saine. Dans une famille enchevêtrée (« enmeshed family »), il n’y a pas vraiment de frontières entre les personnes ; elles forment une entité unique. C’est une sorte de co-dépendance à plusieurs. Implicitement, chacun n’est pas autorisé à avoir ses propres émotions, surtout si elles sont négatives, car cela impacterait négativement l’ensemble. Alors il est impératif que tout aille bien ou du moins que tout semble aller bien, surtout pour des yeux extérieurs.
Il y a là encore souvent une personne qui sera dominante ; les autres membres de la famille prendront plus particulièrement en charge ses besoins. Leurs buts doivent coïncider, leurs activités doivent être partagées par tous (surtout celles que le leader aime). Il faut à tout prix éviter l’échec de l’un pour que les autres puissent se sentir en sécurité, alors on pousse chacun à faire « les bons choix » (pour la famille, pas pour eux-mêmes) et on balaie tous les obstacles devant lui avant qu’il ait pu faire l’épreuve d’une quelconque adversité. Sorti de sa famille, la personne qui a connu l’enchevêtrement ne sait pas bien qui elle est, ce qu’elle veut, ce qu’elle aime, et a du mal à établir ses limites et par conséquent à les faire respecter.
Le people-pleasing
Le « people-pleasing » est une autre dynamique où l’on met au second plan ses limites pour tenter de plaire aux autres. On fera tout pour être le meilleur employé possible, par exemple, mais pas pour la fierté que l’on en retire ; c’est plutôt l’approbation de la figure d’autorité que l’on recherche. Il y a un revers à la médaille : c’est qu’à force de se mettre en quatre et d’en faire plus que ce qu’on attend réellement de nous, on peut se diriger vers l’épuisement, et puis éventuellement vers le ressentiment pour la personne qu’on essayait d’impressionner.
Il est évident qu’une personne qui est enfermée dans une logique de fawning (soumission) ou de people-pleasing est plus vulnérable pour un manipulateur ou un profiteur. Mais sans vouloir la culpabiliser, elle peut en fait créer elle-même une partie des circonstances malsaines ou les aggraver. Il relèvera de sa responsabilité de réaliser le travail nécessaire pour sortir de cette logique et (se) fixer des limites. Cela ne donne évidemment aucune excuse aux profiteurs.
En conclusion…
Comme toujours, rien n’est joué d’avance. On a toujours des cartes (topographiques ?) pour évoluer vers une meilleure version de soi-même. Alors, vous sentez-vous prêt, tel un Vauban, à partir pour l’inspection de vos frontières et places fortes pour les remettre au goût du jour ?
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Sources :
- “Personal boundaries”, article sur Wikipedia
- “How to Set Healthy Boundaries”, article de Joaquin Selva sur le site PositivePsychology.com
- “Boundary”, entrée du American Psychological Association Dictionary of Psychology
- “ 6 Types of Boundaries You Deserve To Have (And How To Maintain Them)”, article d’Elizabeth Earnshaw sur le site MindBodyGreen
- “Interpersonal Boundaries: How Trauma Keeps Us Silent”, article de Morgan Concepcion sur le site Lifeworks
- “The No BS Guide To Protecting Your Emotional Space”, article de Jennifer Chesak sur le site Healthline
- “Dealing with toxic parents”, article de Darlene Lancer sur son site WhatIsCodependency
- “What is Codependency? – Recognizing the Signs”, article de Wendy Rose Gould sur le site VeryWellMind
- “What is an enmeshed family”, article de Rhona Lewis sur le site Healthline
- Série d’interventions de Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) sur les Boundaries
- “Le corps n’oublie rien – Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme“, livre de Bessel van der Kolk, expert sur le SSPT
- “Complex PTSD: From Surviving to Thriving”, livre de Pete Walker, thérapeute spécialisé dans les traumatismes complexes et les strategies de coping
- “Le Drame de l’Enfant Doué“, livre d’Alice Miller, psychologue (NB : ici, « doué » n’est pas à prendre dans le sens HP, mais plutôt dans le sens « sensible »)
Merci pour cet article encore une fois très complet.
J’ajouterai pour la partie communication (selon la méthode ESPERE de Jacques Salomé) les concepts suivants.
La poubelle relationnelle : où l’on jette tout ce qui a été mauvais dans une journée. mots, objets symboliques ou dessins pour représenter des comportements.. en général je dissocie la personne et son comportement dans la communication. Cela évite l’escalade des reproches. Le besoin relationnel ciblé serait celui d’intimité (physique, émotionnelle, etc..) dont je peux m’occuper en regardant ce qui se passe à un moment choisi dans la journée (les mots et comportements collectés dans la poubelle et ce qu’ils réveillé chez moi) pour mieux mettre en place des actions qui vont dans le sens de mon besoin.
Cela peut être simplement tracer la ligne entre ce qui est une information personnelle et ce que je peux dire à un.e collègue de travail, un.e ami.e…
Aller davantage vers l’affirmation que la justification me semble aussi essentiel.
Au delà des notions d’émetteur et récepteur de message, il est surtout question de relation et de coresponsabilité : qu’est-ce que j’envoie à l’autre et qu’est-ce que l’autre m’envoie ?
Responsabilité autant de la teneur de mes comportements et messages (selon mes valeurs, le type de relation.. ) que de ce que je fais avec ce que l’autre m’envoie (accepter, refuser, rester neutre, sentir que ma limite est franchie et voir ce qui se passe à partir de là, y compris faire des liens avec des événements passés réactivés).
Merci pour ce commentaire, comme discuté par ailleurs. 🙂