Petit manuel d’autodétermination : TAD – 3ème partie

Voici donc le troisième volet de cette série consacrée à la Théorie de l’Autodétermination (TAD) de Ryan et Deci. Nous avons présenté le cadre théorique (auquel je vous renvoie pour les définitions de tous les termes qui pourraient vous sembler obscurs) et passé en revue les conclusions des chercheurs sur les applications pratiques de la TAD dans les milieux institutionnels (scolaire et professionnel). Nous en venons maintenant à ce que peut nous apporter ce modèle à titre individuel, notamment dans un but de développement personnel. Nous nous éloignerons ainsi quelque peu de l’ouvrage de référence pour extrapoler un brin et nous créer notre propre petit manuel d’autodétermination.

Qui dit motivation dit (souvent) procrastination

On ne va pas se mentir, quand on s’intéresse au sujet de la motivation, c’est généralement qu’on en manque au moins un peu. Et l’une des façons dont se manifeste ce déficit, c’est la procrastination.

Il y a une tonne de littérature sur ce thème, avec autant de méthodes miracles, de structures à appliquer, de plannings à remplir, de coups de pied au c** à se (faire) donner, … plein d’autres choses et souvent une petite touche de culpabilisation. Il est indéniable que certains de ces conseils peuvent aider dans des domaines ciblés, notamment ceux qui s’appuient sur la motivation extrinsèque selon des modalités plutôt contrôlantes. Personne (ou pas grand monde) n’aime faire sa paperasse ou remplir sa déclaration d’impôts ; pour ce genre de choses, une bonne dose d’organisation et de discipline auto-imposée est vraisemblablement indiquée. Mais dans des situations où nous disposons de plus de latitude, qui découlent d’une manière ou d’une autre de nos propres choix, c’est une autre histoire.

Plus d’autodétermination, moins de procrastination

L’idée est que plus une activité est autodéterminée, moins elle apportera dans son sillage de procrastination. Par ailleurs, plus l’environnement vous mettra dans de bonnes conditions pour vous mettre en mouvement (essence du mot « motivation »), plus il sera simple de s’y mettre. Et dans des circonstances propices, une partie de votre vision du monde (orientation de causalité) pourrait même lentement évoluer vers plus d’ouverture et d’autonomie. Le but est, partout où cela est possible, de ne pas devoir se forcer, et donc de lever les barrières qui freinent une action épanouissante.

Disons que vous vous êtes mis au violon (l’instrument de musique, pas la geôle). Les premières semaines, c’était chouette même si ce n’était pas génial, mais maintenant vous renâclez à faire vos exercices et vous allez au cours avec des pieds de plomb. Pourtant, on ne vous a pas mis un couteau sous la gorge et vous vous êtes probablement dit que ce serait bien, un hobby qui vous apporterait de la satisfaction. Vous n’avez même pas deux mains gauches ; quand vous pratiquez vous progressez… Avant de conclure que la musique n’est simplement pas pour vous ou de vous inscrire à la place à la classe de harpe celtique, il serait peut-être judicieux d’examiner ce qui s’est passé : pourquoi vous avez pris la décision d’apprendre à jouer, qu’est-ce que vous en attendiez et pourquoi ça n’a pas pris ?

Quel type de régulation et d’internalisation ?

Selon la Théorie de l’Autodétermination, il existe quatre types de régulations en sus de la motivation intrinsèque : externe, introjectée, par identification, intégrée. Dans quel cas de figure étiez-vous lorsque vous avez décidé d’apprendre le violon ? A quel degré étiez-vous autonome dans votre choix et avez-vous fait ce dernier pour de bonnes raisons, vos propres raisons ?

Cas de la régulation externe

En fait, vous n’avez pas vraiment décidé, ce n’est pas une initiative qui émane de vous-même. Vous étiez un peu obligé, quoi. Par exemple, on pourrait imaginer la situation suivante : vous aviez six ans et votre grand frère fréquentait une académie de musique parce qu’il était passionné de clarinette. L’un de vos parents le conduisait les mercredis et samedis à ses cours et maintenant que vous aviez l’âge, il aurait été bien pratique que vous choisissiez une activité musicale aux mêmes heures, de sorte que papa ou maman dispose d’une heure ou deux plutôt que de vous emmener au karaté à l’autre bout de la ville. Et puis, avoir une éducation musicale, c’était bon pour vous ! « Alors choisis ! Ah non, pas la batterie, tu te rends bien compte que c’est impensable ; y a pas la place et les voisins vont se plaindre. » Et voilà comment on se retrouve avec un crincrin dans les mains.

Pas étonnant de ne pas avoir la motivation pour une activité pour laquelle on n’a pas de réel intérêt. Des situations similaires pourraient se présenter à un adulte, notamment avec un autre type de formation, dès qu’il se sent obligé. A part laisser tomber et choisir autre chose, il n’y a pas grand-chose à faire. Et s’il s’agit d’une obligation légale, il faudra bien s’y coller (ou éventuellement déléguer, faire faire, quitte à payer pour ce service).

Cas de la régulation introjectée

« Une personne du monde a des notions de solfège et sait jouer quelques airs de musique classique, c’est bien connu. » Voici une des valeurs de l’environnement social où vous êtes né ou auquel vous aspirez vous intégrer. Vous êtes une personne du monde ou vous voulez en devenir une, pas vrai ? Alors maintenant vous savez ce qu’il faut faire pour être accepté et approuvé. Ce n’est pas forcément ce que vous voulez faire. Il y a fort à parier que dans pareil cas ce ne sera pas le seul code que vous intégrerez sans trop y croire ou sans vous poser de question. Et vous ne ferez pas du violon par plaisir, mais pour obtenir une récompense sur le plan social. Est-ce vraiment surprenant que vous renâcliez à faire vos gammes ?

De nouveau, les comportements résultant d’introjections sont nombreux, et ce à tout âge de la vie. Donc face à une action qui entraîne chez vous de la procrastination, vous pouvez vous demander si elle a été initiée pour des raisons valides et qui vous étaient propres. Pour pouvoir avancer, dans ce cas, il est nécessaire d’examiner ses introjections et de les remplacer par des intérêts et des valeurs plus intrinsèques, ou du moins congruents.

Cas de la régulation par identification

Ce coup-ci vous avez vraiment envie de faire du violon. C’est quelque chose d’important pour vous que d’être musicien. Oui, mais il y a encore quelque chose qui cloche, probablement une valeur ou un autre comportement compartimenté quelque part qui entre en conflit avec ce passe-temps. Pour l’exemple, disons qu’en fait vous aimez votre instrument, mais pas la musique classique. Vous pourriez tout aussi bien acheter un violon électrique et jouer du hard rock, ce qui vous plairait plus. Mais peut-être que votre grand-père Octave aimait tellement vous entendre jouer Mozart que vous auriez l’impression de le trahir si vous vous mettiez à Led Zeppelin (et pourtant vous adoreriez jouer « Kashmir »…).

Bref, dans ces situations, deux considérations ne s’accordent pas entre elles. Pour reprendre l’image du premier article, cela peut se manifester lorsqu’on est convaincu qu’il faut réduire la pollution par les emballages, mais qu’on ne souhaite pas vraiment réallouer du temps pour faire ses courses d’une manière qui permette cet effort… Nos intérêts ou nos valeurs ont donc besoin d’être intégrés plus avant, ce qui demande un travail de réflexion et quelques aménagements d’un côté ou de l’autre.

Cas de la régulation intégrée ou de la motivation intrinsèque

Il n’y a vraiment pas de souci sur vos motivations à faire du violon ! Vous avez choisi cette activité vous-même et vous aimez toujours ça. Normalement tout baigne, alors si vous avez des problèmes de procrastination, il faut chercher des causes ailleurs que dans les régulations, peut-être dans votre environnement immédiat (qui soutient ou non la satisfaction de vos besoins psychologiques de base) ou dans votre façon de voir les choses (orientations de causalité).

Violons (d’Ingres) mis à part…

Evidemment, ces analyses ne s’appliquent pas seulement à des passe-temps. Des secteurs bien plus essentiels de nos vies peuvent être placés sous cette lentille, notamment nos choix de carrière ou de vie. Si vous partez au boulot à reculons ou que des pans entiers des activités que vous êtes amené à y réaliser vous rebutent, vous êtes en droit de vous demander si c’est le bon métier pour vous. Et de déterminer comment vous êtes arrivé là ! Idem si votre (style de) vie ou certains de vos comportements ne vous ressemblent pas.

Les mécanismes en jeu peuvent s’avérer plus ou moins insidieux. Si vous avez agi sous le coup d’une régulation externe, que vous avez été contraint, il est aisé de retracer d’où provient l’inadéquation et d’y remédier. Par contre, nous ne sommes habituellement pas conscients de nos introjections, qui nous guident parfois dans la mauvaise direction à notre insu. Lorsqu’une insatisfaction commence à émerger par rapport à « ce que nous sommes censés faire » ou « ce qu’on attend de nous », on entre potentiellement dans le domaine de la  Désintégration Positive (dont nous reparlerons plus bas) et il est possible de déconstruire les introjections pour les remplacer par des valeurs et des intérêts librement choisis.

Si des difficultés se manifestent en raison d’un manque d’intégration (régulations ou valeurs compartimentées) à partir d’un socle qui vous correspond, un travail de réflexion et d’aménagement devrait permettre de les aplanir. Des changements plus ou moins importants pourraient mener à harmoniser les aspects de vos diverses aspirations qui ne sont pas compatibles, quitte à laisser tomber celles d’entre elles qui vous desservent. Les freins qui retiennent les personnes qui souhaitent se reconvertir sont parfois le résultat de compartimentations. Par exemple, quelqu’un qui a un métier prestigieux et bien rémunéré pourrait vouloir se réorienter vers une activité plus intrinsèquement satisfaisante (sa décision serait autonome), mais être retenu par le fait de devoir reconsidérer son train de vie et celui de sa famille.

Le bon environnement

A côté des raisons pour lesquelles on est amené à réaliser une activité, il y a aussi les conditions immédiates de sa réalisation, qui peuvent ne pas être suffisamment favorables à la motivation. La TAD s’articule autour de trois besoins psychologiques de base, à savoir les besoins d’autonomie, de compétence et de relatedness. Au cours de notre socialisation, c’est le degré auquel notre environnement est propice à la satisfaction de ces besoins qui façonne nos types de régulations par rapport à des comportements particuliers et nos orientations de causalité. Dans le moment présent, celui où l’on va s’engager dans une activité ou non, le cadre a aussi son importance.

C’est pourquoi il est nécessaire de s’intéresser à la façon dont les circonstances répondent à nos besoins lors de la réalisation d’une activité, et si nécessaire de trouver des aménagements qui nous permettront d’évoluer dans un milieu plus nourrissant.

Autonomie

Non seulement le besoin d’autonomie intervient lorsque l’on décide de faire quelque chose (dans le pourquoi), mais il doit être satisfait pendant l’exécution de la tâche (dans le comment). Par exemple, le fait d’être surveillé ou jugé peut être désagréable et aller à l’encontre de ce besoin. Pour en revenir à notre violoniste en herbe, si sa tante excentrique « l’encourage » à grands cris à « y mettre du sentiment » alors qu’il est déjà content de poser ses doigts et son archet à peu près aux bons endroits, il risque de reposer l’instrument vite fait dans son étui. Un tel commentaire compromet à la fois le sentiment d’autonomie et de compétence.

Il est difficile de donner des recommandations sur comment rendre l’environnement plus favorable au besoin d’autonomie, car celle-ci est intimement liée à la compétence et à la relatedness. Toutefois, ce besoin peut être exprimé aux personnes présentes, ou entraîner le choix d’un lieu particulier pour la pratique en question (où l’on sera plutôt seul ou plutôt entouré par exemple). Il est à noter que selon les études citées par Ryan et Deci le contact avec la nature est à même de promouvoir le sentiment d’autonomie.

Compétence

Pour être motivé, il faut que le niveau de difficulté de l’activité soit approprié, autrement dit qu’elle ne soit ni trop facile ni trop compliquée. Lorsqu’on ne pense pas pouvoir y arriver, parce que la tâche est trop compliquée, trop vaste ou qu’il y a trop d’obstacles, on risque de ne pas s’y atteler ou d’abandonner en cours de route. Il est donc important de bien choisir le niveau de complexité (c’est pour ça qu’il y a des cours pour débutants d’un côté et des master class de l’autre), de lever les écueils et éventuellement de fractionner des gros projets en plusieurs objectifs, dont l’atteinte renforcera le sentiment de compétence.

Relatedness

Toutes les activités ne se font pas en groupe. Mais au moins certaines d’entre elles doivent nous permettre de nous sentir en lien avec autrui, d’appartenir à un groupe (avec une définition plus ou moins large ; cela peut être celui des musiciens solistes aussi bien que l’Humanité), d’interagir et de donner ou recevoir de la considération. Notre violoniste pourrait par exemple se trouver dépité de ne pouvoir jouer que seul dans sa chambre et serait peut-être plus motivé s’il faisait partie d’un orchestre.

L’un des conseils qui reviennent régulièrement concernant la procrastination, c’est de trouver des gens avec lesquels pratiquer l’activité. Cela ne signifie même pas que ces personnes discuteront ou feront connaissance, mais simplement qu’elles sont présentes au même moment et au même endroit (fût-il virtuel) pour s’adonner à la même occupation. On trouve ainsi des groupes d’écriture silencieux ou des groupes de pratique de pleine conscience, où il est évident qu’on ne va pas commencer à papoter. Néanmoins, on peut ainsi se sentir appartenir à un ensemble plus large que soi-même. Il en va de même dans les environnements professionnels. Avoir un professeur peut également aider à combler ce besoin, tout en permettant d’obtenir un feedback qui, s’il est bien dispensé, participera aussi à soutenir à la fois l’autonomie et la compétence.

L’état d’esprit

Une fois que l’on a établi la validité des raisons qui ont influencé nos choix et que l’environnement extérieur est favorable à la satisfaction de nos besoins (les deux pouvant requérir des aménagements pour devenir adéquats) et qu’il reste des points d’achoppement, il est nécessaire de se tourner une fois encore vers l’intérieur et d’examiner notre orientation de causalité vis-à-vis de l’activité ou du comportement sur lequel on procrastine.

Orientation de causalité autonome

Notre histoire personnelle détermine la manière dont nous allons aborder le monde. Si notre environnement a été suffisamment propice à la satisfaction de nos besoins, il est vraisemblable que nous aurons une orientation à prédominance autonome (ainsi que des internalisations plutôt intégrées et un bon niveau de motivation intrinsèque). Les personnes dans cette configuration se lanceront facilement dans de nouvelles activités, qu’elles auront du reste choisi par elles-mêmes et qu’elles sauront moduler en fonction des résultats qu’elles obtiennent, poursuivre si elles leur conviennent et abandonner si elles n’en tirent rien. L’estime qu’elles ont pour elles-mêmes ne sera pas facilement impactée par quelques revers, donc elles s’engagent avec l’esprit tranquille et font leur petit bonhomme de chemin. Leur univers est un immense terrain de jeu et d’expérimentation dans lequel leur vitalité peut s’exprimer.

Orientation de causalité contrôlée

Lorsque nous n’avons pas obtenu le soutien qui nous était nécessaire pendant de longues périodes (particulièrement dans l’enfance, mais aussi par la suite), notre orientation de causalité se déplace vers le mode contrôlé. De manière générale, les individus dans cette situation n’agiront que s’ils se sentent contraints par un contrôle externe ou par leurs introjections. Autrement dit, ils ne font pas grand-chose pour et par eux-mêmes (étant entendu que les orientations doivent être considérées domaine par domaine ; il est rare qu’une personne soit entièrement dominée par un seul des trois modes de fonctionnement). Dans l’immédiat, la façon la plus expédiente de les impliquer sera de leur offrir des récompenses. Mais sur le long terme, il serait préférable qu’elles soient amenées à gagner en autonomie.

Orientation de causalité impersonnelle

Ici aussi, le cadre fut loin d’être optimal, et tout ce que la personne voit, ce sont les obstacles autour d’elle. Elle ne se sent ni autonome, ni compétente, ni en relation avec autrui. Autrement dit, elle a peu d’estime pour elle-même, voire souffre d’un traumatisme complexe. Cette orientation prédispose à l’anxiété et donc à la peur de se lancer dans une activité. Les individus qui présentent cette modalité (de nouveau, à voir domaine par domaine) ont tendance être amotivés, passifs et donc à beaucoup procrastiner. Mais ils ne sont pas condamnés à rester dans ce cul-de-sac !

Changer d’orientation

Ce qui est chouette avec cette histoire personnelle que j’évoquais, c’est qu’elle ne s’arrête pas au début de l’âge adulte, et que donc avec les nutriments adéquats (et généralement pas mal d’introspection, voire une aide professionnelle) on peut évoluer vers une vision du monde plus porteuse. Il n’y a toutefois pas de truc ou astuce, pas de hack, pas de feuille de route pour influer sur l’orientation de causalité. Bien sûr il faut des expériences positives dans un environnement porteur, mais il est impossible de connaître leur nature ou la quantité nécessaire à l’avance. On ne peut pas non plus « penser son chemin » (sans jamais agir concrètement) vers une nouvelle orientation. Tout ce qu’on peut faire est de se mettre dans des conditions optimales et puis laisser l’ensemble évoluer de façon organique.

Une procrastination particulière : ne pas savoir ce qu’on veut faire

Imaginons que vous avez beaucoup de temps libre en dehors de votre profession, ou que vous avez pris un long congé sabbatique, ou encore que vous êtes à la retraite. Bref, vous n’avez pas de contrainte, rien que vous soyez obligé de faire. Et vous pensiez qu’une fois que vous auriez le temps, tout naturellement vous sauriez quoi faire et que ce serait super. Toute cette liberté, toute cette autonomie… Et en fait vous ne savez pas quoi en faire ! Consternation ! Vous feriez bien quelque chose, si seulement vous saviez quoi. Mais vous avez beau vous creuser la tête, rien ne vous met en mouvement. Vous avez bien quelques idées, mais rien de suffisamment porteur. Vous manquez de vitalité.

La vérité c’est qu’on ne passe pas d’un fonctionnement dirigé par le contrôle externe ou l’introjection à des états plus intégrés ou à la motivation intrinsèque par un coup de baguette magique. Et plus difficile, on ne passe pas d’une orientation de causalité à dominante contrôlée ou impersonnelle à un mode autonome en un claquement de doigts. Je vous le disais, ça prend du temps. Mais ça, on ne le sait pas avant d’y être confronté.

Dès lors, si on est conscient de ce phénomène et qu’on n’a pas été « naturellement » amené à avoir un haut niveau d’autodétermination, il est bon de réfléchir en amont. Et pas seulement en prévision de ces grands changements dans notre vie ! On ne va pas attendre le syndrome du nid vide, ou la crise de la quarant-cinquant-soixant-aine, ou le burnout ou le blues de la retraite pour s’en préoccuper. Ou peut-être que si en fait… C’est un peu dommage, mais généralement il faut être ébranlé de façon spontanée pour être entraîné vers un réel changement, sur le modèle de la Désintégration Positive, et aller vers plus d’autodétermination. On va y revenir.

Alors en attendant, on fait quoi ? On essaie de s’écouter un maximum. Et sinon vous pouvez tenter ce que James T. Webb appelait le « Role Stripping ». Cet exercice vise à répertorier tous les rôles que l’on endosse dans sa vie (époux/se, père/mère, enfant de, travailleur, consommateur, violoniste, …) et de voir ce qu’il resterait si l’on se dépouillait de toutes les obligations qui vont avec ces qualités. Ce n’est pas à dire qu’il faut s’en débarrasser ! Mais simplement de se rendre compte des sources des ensembles de comportements potentiellement introjectés que l’on a. Cela peut être instructif. A côté, il peut y avoir du vide ou de l’abondance.

Pour résumer un peu tout ça…

Je vous ai créé un petit diagramme qui reprend les dynamismes dont nous venons de discuter. Notez que changer de type d’internalisation ou se libérer d’un contrôle externe prend du temps ; même si l’on décide de se mouvoir vers un plus grand degré d’internalisation, il est vraisemblable de devoir réaliser des tâches non optimales du point de vue de la motivation encore pendant un temps. Et potentiellement de procrastiner encore un peu pendant cette période. Mais rien ne sert de s’auto-flageller pour ça. La culpabilisation est généralement aussi le fruit d’une introjection. Par ailleurs, si une majorité d’activités est satisfaisante, on peut supposer que les corvées seront moins lourdes à effectuer.

Autodétermination
Autodétermination et Motivation – Métacosme

Liens avec la Désintégration Positive et le trauma

C’est ici que j’extrapole le plus par rapport aux ouvrages de référence de toutes ces théories. A ma connaissance, les combinaisons de ces domaines n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques, mais mon sentiment est qu’il y a des recoupements entre les diverses théories, et donc une certaine cohérence, voire une fluidité, dans les thèmes.

Désintégration positive

Rappelons que la Théorie de la Désintégration Positive de Dabrowski présente un cheminement en cinq étapes ou niveaux :

  • Niveau 1 : Intégration primaire
  • Niveau 2 : Désintégration à niveau unique
  • Niveau 3 : Désintégration spontanée à niveaux multiples
  • Niveau 4 : Phase organisée de désintégration à niveaux multiples
  • Niveau 5 : Intégration secondaire

Le niveau 1 serait marqué par de fortes introjections (autrement dit une internalisation pas encore intégrée ; le terme « intégration » risque de porter ici à confusion parce que sa signification principale diffère entre le TAD et la TDP). A ce stade, on vit selon des normes qui nous ont été inculquées, sans se demander si elles nous correspondent vraiment. La désintégration à niveau unique consisterait à rejeter certaines introjections, mais à les remplacer par d’autres, ou à adopter les premières à nouveau. En effet, ce n’est pas parce qu’on commence à se poser des questions qu’on complète nécessairement la désintégration positive! Selon la théorie, de nombreux éléments doivent se combiner pour aller plus loin, et les dangers en cours de route sont nombreux. A partir de la troisième étape apparaissent des tensions entre ce que l’on est et une meilleure version de soi-même (notion de verticalité, à laquelle fait référence l’image de montagne à gravir). Dans la phase 4 aurait lieu le choix de nouvelles valeurs et d’intérêts réalisé de façon autonome et puis leur intégration (au sens de Ryan et Deci). De la sorte, au dernier niveau, on atteint un état d’autodétermination pour la TAD, et une personnalité pour la TDP. Les deux théories peuvent s’éclairer mutuellement.

Le traumatisme complexe

Nous avons vu dans le premier article sur la théorie de l’autodétermination que les auteurs liaient divers troubles psychologiques à de graves carences quant à la satisfaction des besoins psychologiques de base. Parmi eux peut se trouver le traumatisme complexe, celui de cette sorte qui ne se voit pas, n’empêche pas complètement de fonctionner, mais ne permet pas d’être une personne pleinement épanouie.

Les fameuses 1 000 coupures sont ces petites phrases ou comportements provenant de notre environnement qui vont à l’encontre des sentiments de relatedness et d’autonomie principalement, mais aussi de compétence ; autrement dit on ne reçoit pas suffisamment de validation en tant que personne. Souvent, deux de ces besoins sont mis en concurrence lors de l’événement potentiellement traumatisant. Par exemple le message envoyé pourrait être « pour te sentir aimé(e), tu dois te comporter de la façon que j’attends ». La relatedness et l’autonomie s’affrontent, et souvent on laisse tomber la seconde pour être accepté. C’est notamment le fonctionnement de la considération conditionnelle, dont nous avons évoqué la nocivité dans les deux premiers articles.

A force, on développe des introjections délétères, du style « les filles bien élevées n’élèvent pas la voix et font ce qu’on leur dit » ou « un vrai homme est froid et rationnel et n’a que faire des émotions ». Plus globalement, la dominante de nos causalités d’orientation se déplace vers la modalité contrôlée ou impersonnelle. L’estime de soi est amoindrie, et l’ensemble tend vers le traumatisme complexe.

La bonne nouvelle, c’est que tout cela n’est pas gravé dans le marbre. Grâce à l’introspection (notamment la pleine conscience et la méditation, qui sont évoquées comme des outils par Deci et Ryan) et/ou une aide professionnelle, on peut remettre en cause toutes ces introjections et en adopter de plus saines. De même, on peut se placer dans un environnement plus porteur. D’une certaine manière, on peut envisager le traumatisme complexe comme un certain type d’intégration primaire (dans le sens de Dabrowski), et puis évoluer vers les niveaux supérieurs (ou rester sur le pallier intermédiaire de la deuxième étape, en ayant toutefois remplacé quelques introjections par d’autres).

Petite(s) note(s) sur la Société pour finir

Nous n’évoluons pas que dans le contexte restreint de notre famille ou de nos connaissances, mais dans une culture, une Société. Or, celle-ci tend à perpétuer ses codes, en partie au travers des introjections. Mais lorsque suffisamment de citoyens ont examiné leurs systèmes de croyance et ont choisi des valeurs moralement plus élevées, ils peuvent en retour influencer la Société à laquelle ils appartiennent, et donc les générations futures. Hélas, cela fonctionne aussi dans le sens négatif, mais restons quant à nous positifs.

Nous sommes nombreux à nous interroger sur les questions de société, telles que la préservation de l’environnement, la remédiation à l’urgence climatique, les inégalités de tous poils ou encore le système économique dominant. L’ouvrage de référence de la Théorie de l’Autodétermination donne d’intéressants résultats d’études au sujet du matérialisme et du consumérisme. Nous avons déjà évoqué que les objectifs extrinsèques tels que la fortune, le prestige ou le pouvoir peuvent être qualifiés de contingences. Bien qu’un certain niveau d’atteinte de ces buts soit nécessaire, ils ne procurent pas de satisfaction intrinsèque puisqu’ils sont le fruit d’introjections ou d’internalisations compartimentées. Comme on dit « l’argent ne fait pas le bonheur (mais il y contribue) ». Et pour obtenir le plus vite possible l’objet de ces convoitises, on risque encore une fois de prendre la « route la plus courte », celle qui n’est pas nécessairement la mieux guidée par une boussole morale.

Ainsi donc, voici pêle-mêle quelques constatations des recherches citées. Les personnes qui sont principalement attachées à des aspirations extrinsèques sont plus fortement associées aux éléments suivants :

  • Inclination à la compétition plutôt qu’à la coopération
  • Tendance à favoriser largement leur propre bien-être, même au détriment de celui de la collectivité
  • Préjugés (sociaux, économiques, raciaux, …) plus saillants
  • Propension à l’accumulation et à l’extractivisme
  • Empreinte écologique plus grande et préoccupation pour l’environnement moins présente
  • Empathie peu développée
  • Moins de considération et d’attention accordée à autrui
  • Tendance à considérer les relations (amicales, professionnelles, réseau,…) comme de simples outils à leur service

Et les conclusions les plus frappantes sont que ces personnes rapportent des niveaux de bien-être inférieurs à celles motivées par des objectifs intrinsèques et une piètre satisfaction de leurs besoins psychologiques de base (particulièrement celui de relatedness). Ceci crée un cercle vicieux qui les enferre. Car selon Ryan et Deci, le matérialisme semble précisément être un mécanisme destiné à compenser ces manques.

Il y a un dicton (ou une boutade ?) dans le microcosme des partisans des économies alternatives qui dit qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Or, pour les chercheurs en la matière, ce système devra nécessairement évoluer si nous voulons relever les défis vitaux qui se présentent à nous en tant qu’espèce. Mais il y a une lueur d’espoir : c’est qu’en fait collectivement nous ne sommes simplement pas encore dans le bon état d’esprit pour imaginer autre chose. C’est bien compréhensible si nombre d’entre nous cherchent la satisfaction là où ils le peuvent, notamment dans la possession matérielle, bien que cela s’avère être le mauvais endroit.

Participer à créer un environnement social propice à l’autonomie, la compétence et la relatedness fait partie des initiatives qui peuvent susciter le changement en profondeur. Ce ne sera peut-être pas assez rapide et spectaculaire en considérant le peu de temps que nous avons devant nous pour infléchir la course du monde, mais qui sait, cela pourrait au moins faciliter les choses. On pourra reparler ailleurs de niveaux de conscience, de mémétique ou d’évolution consciente. Mais en attendant, nous pouvons contempler l’idée que le développement personnel, le fait de vouloir devenir une meilleure version de nous-mêmes, de tendre vers plus de (réel) bien-être et d’autodétermination n’est pas une entreprise égoïste, au contraire. A terme, c’est une façon positive de contribuer au monde.

Ah, et si vous êtes en faveur d’une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie ou d’un Revenu Universel de Base, vous pourrez toujours brandir la Théorie de l’Autodétermination face à ceux qui vous disent que plus personne ne travaillera sans épée de Damoclès financière au-dessus de la tête. C’est juste qu’on ne fera plus que ce qui a réellement du sens !

Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.

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Sources :

  • “Self-Determination Theory – Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness”, livre de Richard M. Ryan et Edward L. Deci
  • “Procrastination – Why You Do It, What to Do About It Now”, livre de Jane B. Burka et Lenora M. Yuen (Il s’agit d’un ouvrage plutôt traditionnel sur le sujet de la procrastination, mais couplé avec d’autres éclairages, il donne quelques bonnes pistes.)
  • “Searching for Meaning – Idealism, Bright Minds, Disillusionment and Hope”, livre de James T. Webb

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