Soutenir la motivation à l’école et au travail : TAD – 2ème partie
Dans le précédent article, nous avons détaillé le cadre théorique de la Théorie de l’Autodétermination (TAD) de Ryan et Deci. Peut-être avez-vous déjà quelques idées de comment utiliser ses grilles de lecture en pratique. Nous allons continuer à creuser l’aspect concret des choses. En cours d’écriture, j’ai décidé que la meilleure façon de procéder était de vous proposer deux articles distincts :
- L’un qui s’intéresse aux applications proposées par l’ouvrage de référence, c’est-à-dire les univers scolaire et professionnel. Ce sont des domaines assez codifiés, où il s’agit principalement pour les membres de l’institution de motiver les autres puisque l’existence-même de normes, de règles et de transactions nous placent dans le domaine de la motivation extrinsèque.
- Le second s’intéressera plutôt au développement personnel, un sujet qui par définition ne peut réellement faire l’objet d’études scientifiques telles que celles réalisée dans le cadre de la TAD. En effet, en la matière l’idée de base est de devenir un expert de soi-même. En extrapolant quelque peu par-dessus certains éléments proposés par Ryan et Deci, je tenterai d’apporter un éclairage de la TAD par rapport au haut potentiel, à la procrastination et l’autodétermination. Nous y ajouterons quelques considérations sur une note philosophique par rapport à la Société en général. L’objectif sera donc plutôt d’explorer la motivation intrinsèque, et comment se motiver et se connaître soi-même.
Place maintenant à ce deuxième volet de la Théorie de l’autodétermination autour de la motivation extrinsèque. Peut-être êtes-vous dans une position qui vous met dans un rôle de motivateur et que ce qui suit vous donnera des pistes dans votre pratique. Néanmoins nous avons tous été amenés à être motivés dans les contextes scolaire ou professionnel, et cet article peut remettre en perspective certains types d’expériences, et en permettre une relecture bienveillante.
A l’école
Cela ne surprendra personne, l’un des domaines dans lesquels la motivation a fait le plus souvent l’objet de recherches est celui de l’éducation. Comment encourager nos petites têtes blondes à apprendre ? Mais est-ce réellement la question posée ? Ou en tout cas est-ce celle à laquelle correspondent les réponses actuellement apportées ?
Comme le notent Ryan et Deci, l’école moderne est une expérience relativement récente dans l’histoire humaine. Avant que ne devienne obligatoire le passage par l’institution scolaire (du moins dans les sociétés occidentalisées), les plus jeunes apprenaient par l’imitation de leurs parents ou de maîtres dans l’art qu’ils étaient destinés à exercer. On est passé d’une approche quasi-individuelle et sur mesure à de grands groupes d’élèves auxquels on impose un programme prédéterminé et strictement (étroitement ?) défini, à un rythme cadencé.
On l’a vu dans l’article précédent, l’envie d’apprendre est un équipement fondamental inné des humains. Tout ce que l’on découvre et assimile dans la prime enfance (parler, marcher, explorer notre environnement, jouer, …) est le fruit de notre motivation intrinsèque. Il n’y a pas de cours, pas d’examens et on ne nous dit même pas quoi faire (encore aurait-il fallu qu’on ait déjà appris le langage pour recevoir de telles consignes…). On fait tout ça par intérêt et par plaisir. Et puis le temps vient d’aller à l’école (primaire). Là, on nous met subitement face à des packages d’apprentissages qui n’ont pas été formulés d’une manière à utiliser à bon escient cette motivation intrinsèque.
Les évaluations
La lecture et l’écriture sont par exemple des compétences que la plupart des enfants auraient l’envie et la capacité d’acquérir de leur propre initiative même si elles n’étaient pas obligatoires. Et pourtant, plutôt que d’essayer de capitaliser sur le puissant levier de la motivation intrinsèque, on met d’entrée de jeu en place des mesures qui vont la remplacer par une motivation extrinsèque, à savoir les évaluations et les notes. Non seulement il s’agit d’une motivation extrinsèque, mais elle penche du côté du contrôle externe et de l’introjection. On aimerait penser que l’on enseigne aux plus jeunes le goût de l’apprentissage, ce qui reviendrait à les aider à internaliser de façon intégrée cette valeur essentielle, mais c’est en fait rarement le cas. (voir l’article théorique pour les définitions)
Certains pourraient dire que finalement le type de motivation importe peu tant que le résultat est là. Oui, mais justement, ce n’est pas le même résultat. Les études émanant de la TAD ont démontré que l’apprentissage était plus superficiel lorsqu’il est acquis en vue d’une évaluation et qu’il persiste moins longtemps. Au contraire, lorsque l’on explore un sujet par intérêt, ce que l’on en retient a un caractère plus conceptuel ; autrement dit, on comprend mieux, plus en profondeur, et pour plus longtemps.
Si l’objectif principal est d’avoir une bonne note, on a tendance à étudier d’une façon qui permettra de « recracher » les contenus lors de l’évaluation (la fameuse « route la plus courte » dont nous avons déjà parlé). Même si dans ces circonstances on est le premier de la classe avec uniquement des 20/20, ce n’est pas optimal à long terme. Viser les scores plutôt que le savoir et la compréhension est un mécanisme qui s’enracine profondément, même jusqu’aux les études supérieures, dans les matières dont on est censé faire son métier, qui devraient par conséquent nous intéresser et nous être utiles très longtemps. C’est une chose d’oublier « 1515 – Marignan », car au final un certain nombre d’informations que nous devons ingurgiter ont peu d’importance réelle, mais en vue de satisfaire au mieux notre besoin de compétence tout au long d’une carrière il serait préférable de maîtriser les sujets d’une manière appropriée.
Plutôt que des évaluations chiffrées, l’idéal est donc de délivrer un feedback bienveillant, qui se concentre sur le processus d’acquisition du savoir, les progrès réalisés plutôt que sur la performance finale, à savoir uniquement le résultat. Comme nous l’avons expliqué dans le précédent article, le fait de savoir qu’il y aura un test va à l’encontre du besoin d’autonomie. Néanmoins, l’information donnée à l’élève par la note qu’il reçoit peut, si elle est positive, contribuer à satisfaire son besoin de compétence, mais en moyenne les deux besoins seront piètrement satisfaits et la motivation peu nourrie. Et bien sûr, si la note n’est pas bonne, la démotivation guette, et ce d’autant plus si on ajoute un petit commentaire du genre « Peut mieux faire »…
Donc pour en revenir à notre interrogation sur comment encourager nos bambins à apprendre, je vous laisse tirer vos propres conclusions (en toute autonomie bien sûr) sur l’impact des évaluations telles qu’elles sont pratiquées.
L’influence des parents
Dans une situation idéale, les parents offrent une considération positive inconditionnelle à leurs enfants et créent ainsi un climat qui nourrit simultanément les trois besoins d’autonomie, de compétence et de relatedness. Pour ce faire, et en relation avec l’école, leur rôle serait d’aider les plus jeunes à maintenir leur motivation intrinsèque et à internaliser les règles et normes pertinentes en rapport avec l’apprentissage de façon intégrée afin que ces derniers jouissent d’une motivation extrinsèque de qualité. C’est le principal conseil à retenir, mais il n’est pas si simple à appliquer.
En effet, les parents eux-mêmes ont généralement eu une expérience très conventionnelle de l’école et ont internalisé (de façon introjectée ou compartimentée) qu’il était avant tout important d’avoir de bonnes notes. Cela demanderait à beaucoup de gens de prendre énormément de recul pour remettre cette « évidence » en perspective. D’autant que l’importance des résultats scolaires ne leur est pas suggérée que par leur propre expérience passée en la matière. Parfois il règne une certaine compétition entre les parents d’enfants d’une même classe pour savoir quel élève sera « le meilleur » et de là qui est le meilleur père ou la meilleure mère. C’est alors une question d’image et de statut social de pousser ses petits à faire toujours mieux. Par ailleurs, les adultes ressentent la pression à l’excellence dans leur vie de tous les jours : avoir le meilleur dossier, pour intégrer une université qui délivre un diplôme prestigieux pour avoir ensuite les meilleurs postes et puis les meilleures perspectives de carrière… On pourrait dire qu’une certaine forme de peur de l’avenir conditionne leur relation aux bulletins de notes de leurs enfants. On ne peut même pas dire que cette crainte soit illégitime ; nous ne vivons pas dans un monde idéal et nous perpétuons l’introjection de ses règles.
Cependant, la Théorie de l’Autodétermination se préoccupe avant tout d’épanouissement. Et force est de constater que mettre la pression aux gamins pour qu’ils obtiennent de meilleures notes, de façon quelque peu arbitraire, « parce qu’il faut », ne les mène pas vers un épanouissement optimal. Quelques faux pas peuvent être évités.
Je vous renvoie au premier article sur la TAD où l’impact de la considération conditionnelle (l’inverse de la considération positive inconditionnelle, le fait d’accorder plus ou moins d’attention aux enfants pour montrer qu’on approuve ou désapprouve leur comportement) sur la motivation et la régulation des émotions à long terme a été évoqué. Il convient donc d’être très prudent, et de tenter de ne pas recourir à cette technique quelque peu manipulatoire, que ce soit en lien avec les l’école ou dans n’importe quel domaine.
Les conséquences d’un environnement non favorable à la satisfaction des trois besoins psychologiques de base ont également été présentées. Rappelons seulement ici que les implications peuvent être plus profondes qu’on ne pourrait le croire, influençant la façon dont les jeunes envisageront le monde (orientations de causalité autonome, contrôlée ou impersonnelle) et qu’elles peuvent aller jusqu’à des traumatismes complexes ou d’autres problèmes psychologiques.
Quant à l’utilité des récompenses et punitions pour encourager de meilleurs résultats, elle a également été discutée. « Si tu fais tes devoirs, tu auras un dessert » ou « Si tu réussis tes examens nous irons au parc d’attraction » n’ont qu’un effet temporaire sur la motivation qui s’applique uniquement au comportement qui sera récompensé ; à long terme, l’intérêt intrinsèque pour le sujet de l’apprentissage lié risque d’être amoindri.
L’influence des professeurs
On en revient toujours au même élément de base dans la TAD : l’importance d’un environnement qui favorise la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et de relatedness. Bien sûr les professeurs ont leur pierre à apporter à l’édifice.
Toutefois, ce qu’il est important de considérer, c’est que les professeurs ont eux aussi les mêmes besoins ; il est donc idéal que leur cadre soit épanouissant. Or leur autonomie est bridée par de nombreux facteurs, ne serait-ce que les programmes assez stricts qu’ils doivent dispenser, parfois selon une certaine méthode d’enseignement à la mode, avec une pression pour atteindre des objectifs chiffrés. Leur sentiment de compétence peut être influencé par la taille des groupes, qui ne leur laisse pas le temps de s’intéresser à chaque élève et de lui délivrer des explications et des encouragements personnalisés, qui le feraient progresser. La considération dont jouissent les enseignants (conditionnant largement la relatedness) n’est pas vraiment manifeste à bien des égards, dans les systèmes français ou belge du moins. Au risque d’enfoncer des portes largement ouvertes, l’image ou les salaires dont ils jouissent ne reflètent pas vraiment (vraiment pas ?) combien leur contribution à la Société est importante. Or pour motiver des jeunes gens, il serait bon d’être soi-même adéquatement motivé.
Bien sûr, il existe des professeurs qui font un boulot formidable quoi qu’il en soit. Il y a aussi des écoles qui proposent un enseignement alternatif, comme par exemple celles qui utilisent les méthodes développées par Maria Montessori, tout à fait en ligne avec la TAD. Elles sont toutefois minoritaires et ne couvrent pas tout le parcours scolaire. Lorsque des élèves doivent passer d’un environnement favorisant l’autonomie à un cadre plus conventionnel, la déconvenue est parfois brutale ; ils sont amenés à s’adapter (voire se mésadapter) à leur nouvelle situation.
Ryan et Deci donnent plusieurs recommandations destinées à aider les professeurs à faire de leur cours un référentiel épanouissant telles que :
- tenter de comprendre la perspective des élèves pour soutenir leur autonomie et leur motivation ;
- leur donner le choix entre diverses options lorsque cela est possible ;
- laisser du temps aux élèves pour travailler de façon indépendante ;
- reconnaître les signes de progrès et de maîtrise ;
- encourager les efforts ;
- donner des indications sur les possibilités d’amélioration de façon non contrôlante.
Ceci s’applique à tous les élèves, y compris ceux qui présentent des troubles de l’apprentissage ou ceux dits à haut potentiel. Encourager leur autonomie revient à ne pas tenter de les faire revenir de force dans la norme et à leur laisser d’autres voies.
Quant à l’administration, on compte sur elle pour imaginer les mesures qu’elle peut prendre en faveur de la motivation des professeurs.
La philosophie derrière l’école
Tant qu’on parle de l’administration (mais aussi des parents qui en tant que citoyens devraient avoir leur mot à dire), il serait peut-être temps qu’elle (c’est-à-dire le Ministère de l’Education Nationale en ce qui concerne la France) se définisse des missions un minimum inspirantes. Parce que ce n’est pas folichon, je vous invite à aller voir.
Ryan et Deci donnent une indication à ce sujet également (ma traduction) :
« {…} Les écoles sont plus que des usines à apprendre – elles sont des contextes pour le développement des enfants et des adolescents. Les enfants y apprennent plus que la lecture, l’écriture et l’arithmétique. {…} La capacité de s’engager dans des activités et l’autorégulation seront des compétences bien plus utiles pour le reste de leur vie que n’importe quel fait particulier appris à l’école. Inversement, puisque les écoles sont des contextes de développement à bien des égards, elles ne devraient pas venir au détriment de celui-ci. Cela signifie qu’elles ne devraient pas décourager, démotiver ou détruire la confiance des étudiants {…}. »
« Self-Determination Theory », par Richard M. Ryan et Edward L. Deci
En bref, ce qu’ils disent et que je pense aussi très fort, c’est que la mission de l’Education devrait être d’aider les jeunes à devenir des adultes, citoyens, autonomes et épanouis. Dans les faits, ce qu’on nous vend c’est que l’école forme les travailleurs de demain, de parfaits petits rouages dans une grande mécanique. Lorsque les établissements font leur promotion, en particulier dans le cycle secondaire, ils vous parleront du taux de réussite au bac ou d’acceptation dans telle ou telle université, qui à son tour s’empressera de présenter les statistiques d’employabilité de ses lauréats, leur salaire d’entrée moyen et leurs perspectives à 10 ans. Si tant est qu’on puisse le mesurer, l’épanouissement des alumni n’est pas un critère retenu.
D’ailleurs n’en disons pas plus et passons directement dans ce beau continuum de la question de la motivation à l’école à celle dans le monde du travail.
Au travail
Il serait tentant de penser que la motivation au travail est une question simple. Augmentation générale et généreuses primes et voici le problème réglé ! Et bien pas du tout ! (Mais vous deviez vous en douter ; cela ne serait vraiment pas en ligne avec le propos de la TAD.) Il est vrai que dans la plupart des cas la notion-même de travail implique qu’un effort humain est échangé contre une compensation, généralement d’ordre financier. Les facteurs qui entrent en considération pour générer un cadre professionnel favorable sont nuancés, et l’aspect monétaire en fait inévitablement partie. Mais on peut de temps à autre trouver des exemples de personnes qui, s’ils n’avaient plus à se préoccuper de leur situation pécuniaire, continueraient à faire exactement la même chose, soit qu’ils se sentent investis d’une mission, soit qu’ils se sentent bien là où ils sont, utiles et entourés, et ne souhaitent pas se retirer.
Comme le notent les auteurs de la TAD (ma traduction) :
« Pour beaucoup d’individus, le travail ne représente pas seulement une source de revenus destinée à leur survie ; il s’agit aussi d’une forme de réalisation de soi et d’un vecteur de satisfaction personnelle. Les gens recherchent des carrières qui ont une signification, qui ne leur apportent pas seulement de l’argent mais aussi un but, une direction et de l’accomplissement. Le travail est pour beaucoup un socle sur lequel ils peuvent s’épanouir. Malheureusement, pour trop de travailleurs, il s’agit d’un fardeau et d’une source d’épuisement, un usage du temps dont ils doivent se remettre et dont ils rêvent d’être libérés. »
« Self-Determination Theory », par Richard M. Ryan et Edward L. Deci
Il y a toutefois quelques pistes pour rendre l’expérience aussi satisfaisante que possible.
Le salaire : fixe ou variable ?
Le salaire est un type très particulier de récompense. D’un côté, si on ne l’obtenait pas on n’irait pas travailler, et pourtant il n’est généralement pas perçu comme une force contrôlante en relation avec chacune des tâches que nous effectuons au jour-le-jour au boulot. Dans l’ouvrage de Ryan et Deci, le travail rémunéré est considéré comme un état de fait. Dès lors, ils analysent principalement les caractéristiques que doit avoir le salaire pour ne pas être démotivant (à défaut d’être en soi motivant pour les actions qu’il rétribue).
La constatation majeure de la TAD est que de manière générale un salaire fixe est préférable à une rémunération basée sur la performance. Les salaires variables impliquent des évaluations, avec des critères bien définis, donc un ensemble étroit de comportements attendus, ce qui en soi est contraire à l’encouragement de l’autonomie. Le besoin de compétence peut ou non être satisfait par l’évaluation ; tout dépend du feedback obtenu. Dans tous les cas, l’approche variable ne répond pas bien à ces deux premiers besoins.
Par ailleurs, les travailleurs attribuent une grande importance à la justice distributive des salaires. Cela pourrait à première vue plaider pour des compensations liées à la performance, mais lorsqu’il s’agit d’agir en équipe, il est généralement perceptible pour tous que les contributions de chaque individu sont uniques et ne peuvent se ramener à une simple mesure d’efficacité (certains apportant leur expérience, leur créativité, facilitant les relations sociales, etc). La relatedness est donc mieux satisfaite par une paie fixe.
Dans certains cas, les rémunérations liées à la performance (comme par exemple payer un vendeur de voitures par un pourcentage de chaque transaction qu’il réussit) peut avoir des effets pervers et venir au détriment des objectifs de l’entreprise à long terme. Rappelons-nous que les récompenses externes perçues comme seule motivation d’un comportement encouragent à prendre la « route la plus courte » pour obtenir le résultat souhaité, voire faussent la boussole morale des sujets. Il pourrait arriver que ce vendeur mente comme un arracheur de dents pour conclure un accord, ce qui aurait un effet désastreux sur l’image de marque et la fidélité des clients lorsque ceux-ci se rendraient compte que leur nouveau véhicule ne tient pas toutes les promesses qu’on leur a fait miroiter. Pire encore, on a déjà vu des dirigeants d’entreprises rémunérés par des stock options manipuler les résultats de leur boîte afin de les rendre plus reluisants et faire monter les cours afin de s’enrichir personnellement (on pense notamment à l’affaire Enron).
Une exception notable concernant l’intérêt des rémunérations variables concerne le salaire « à la pièce » dans le cadre d’une production peu complexe. Dans ce cas, les ouvriers pourraient considérer que leur rapidité est une indication de leur compétence, et même instaurer des sortes de concours entre eux qui participeraient à la relatedness. Ce type de postes est de moins en moins présent dans nos Sociétés (même s’ils existent encore ailleurs) notamment en raison de l’automatisation ; nous ne nous y attarderons donc pas.
Une autre question est celle du niveau du salaire, dont il est évident qu’il doit être considéré comme confortable par le travailleur. Bien sûr, plus le virement sur son compte en banque à la fin de chaque mois est généreux, plus il est content. Mais nous nous intéressons ici au sujet de la motivation, et dans ce cadre un montant trop faible est démotivant, mais par contre une fois que l’on a dépassé le niveau optimal on ne peut pas attendre d’accroissement de la motivation par des moyens financiers. Ce sont d’autres facteurs (environnement favorable à la satisfaction des besoins notamment) qui rentrent en compte.
Et les primes alors ?
Si les salaires fixes sont généralement préférables aux salaires conditionnés par la performance, alors abolissons les primes et augmentons les salaires de base, non ? Comme toujours, ce n’est pas si simple, purement blanc ou noir, dans la Théorie de l’Autodétermination.
Des primes liées à la performance ne sont pas recommandées par la TAD à cause de leur effet perçu comme contrôlant. Toutefois, nous avons vu que des évaluations bien conçues, éventuellement assorties de récompenses elles aussi bien conçues, ont une signification fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elles renseignent la personne sur sa compétence et sur combien elle est appréciée, tout en lui offrant de l’autonomie. Tout n’est pas nécessairement à éviter, mais il y a des risques d’effets indésirables et il faut en être conscient en tant que dirigeant.
Néanmoins, vous vous souviendrez qu’il existe deux types de récompenses externes qui n’impactent pas négativement la motivation, l’une d’elle étant la récompense non-contingente à une tâche ou une performance et l’autre la récompense inattendue. L’intéressement aux bénéfices de la société pourrait tomber dans l’une ou l’autre de ces catégories et même être bénéfique à la motivation des salariés si cela leur montre la considération que l’on a pour eux (par contre s’ils se disent que le montant est « du foutage de gueule », l’effet inverse est à craindre).
L’influence du management
On l’a compris, l’essentiel de la motivation dans la sphère professionnelle n’est pas principalement une affaire de sous (à partir du moment où on n’a pas un salaire déraisonnablement bas et donc démotivant bien sûr). Donc c’est au management de faire en sorte qu’il soit agréable de travailler dans l’entreprise qu’ils gèrent.
Je vous épargne le suspense, la clé proposée par la TAD est toujours la même : promouvoir la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et de relatedness. Et c’est pratique, les conseils donnés aux managers sont les mêmes que ceux donnés aux professeurs, pour rappel :
- tenter de comprendre la perspective des travailleurs, leurs difficultés et leurs aspirations ;
- proposer un feedback qui soit essentiellement informatif sur la performance et non contrôlant ;
- encourager l’initiative ;
- garder à l’esprit qu’une pression excessive mine l’autonomie ;
- laisser le choix au salarié partout où c’est possible et notamment l’impliquer dans la détermination de ses propres objectifs.
La formation des managers en ce sens est donc cruciale (avis aux écoles de management – je peux témoigner qu’il y a une dizaine d’années, ce n’était pas l’orientation principale de mes cours de « Gestion des Ressources (!) Humaines »).
Une bonne partie du job de gestionnaire est de nos jours de planifier et d’accompagner le changement. Dans cette optique, il est important de donner de bonnes raisons aux travailleurs pour les modifications techniques ou stratégiques (le simple fait que ce soit une recommandation d’un consultant auquel on a payé des sommes faramineuses ne suffit pas ! J’allais ajouter « évidemment », mais ce n’est pas su sûr d’après mon expérience). Si l’implémentation des nouveautés le permet, là aussi il est préférable de donner le choix aux employés sur les modalités et dans tous les cas d’être ouvert à leurs commentaires et objections.
La créativité et l’innovation sont elles aussi des enjeux-clé du monde l’entreprise. On pourrait penser que cela va de soi, mais on n’augmente pas la qualité des idées à coups de primes ou d’autres récompenses. Le meilleur prédicteur en la matière est la motivation intrinsèque d’un employé qui est dans son élément et est vraiment intéressé par ce qu’il fait. Il en va de même pour la proactivité, qui est de plus en plus souhaitée en entreprise, et dépend largement du support apporté à l’autonomie du salarié. On parle volontiers « d’empowerment », mais il faut réellement en créer les conditions au niveau humain.
Enfin, la « rétention des talents » ou encore la gestion du « turnover » sont des problématiques courantes des dirigeants d’entreprise. Il est vrai que l’attractivité du package salarial entre en ligne de compte, mais si l’environnement est épanouissant (enfonçons le clou : au niveau des besoins psychologiques de base), il ne suffira probablement pas à un concurrent d’aligner plus de monnaie pour débaucher les bons éléments. Dans le même domaine, l’absentéisme trouve souvent ses sources dans un cadre démotivant.
Et l’influence du travailleur
La vision du monde du salarié (orientations de causalité et types d’internalisations) entre également en ligne de compte dans la façon dont il envisagera son travail et donc sur sa motivation. Ses intérêts particuliers et l’adéquation de ceux-ci avec son emploi sont des facteurs incontournables de sa motivation intrinsèque et du point de vue de l’entreprise influencent son engagement et sa performance. Des personnes qui se sentent investies d’une mission ou d’une passion soulèveront des montagnes, peu importe la rémunération (encore faut-il qu’ils puissent en vivre, et ce n’est en aucun cas une excuse pour les traiter comme de bonnes poires !).
La Théorie de l’Autodétermination peut être utile à chaque individu pour analyser la satisfaction qu’il retire de son travail et de son environnement. Il est dans l’intérêt de chacun de maximiser son propre épanouissement, y compris professionnel. De cet examen de la situation peuvent découler plusieurs conclusions, par exemple la nécessité de discuter de certains points avec le management pour faire en sorte que le cadre devienne plus propice à la satisfaction des besoins de base. Si cela ne s’avère pas possible, il est peut-être temps de démissionner et d’aller voir ailleurs. Dans ce cas, les questions à poser au potentiel nouvel employeur peuvent être éclairées par la TAD.
De nombreuses personnes courent après la richesse, un certain pouvoir ou un statut social au travers de leur emploi. Ce sont des poursuites importantes, bien sûr, mais il ne s’agit là que de récompenses externes, de contingences, dont un certain niveau doit certes être atteint d’une façon ou d’une autre. Les congés ou la sécurité sont d’autres objectifs raisonnables. Néanmoins, rien de tout cela n’a de caractère intrinsèquement satisfaisant. La plupart du temps, ces buts sont le fruit d’introjections ou d’internalisations compartimentées. Il importe en tant que salarié de ne pas se leurrer soi-même sur la nature de ses aspirations.
Afin de migrer vers des états plus intégrés, la situation ne sera jamais aussi idéale que si vous faites quelque chose que vous aimez et qui a un sens pour vous. Dès lors une reconversion est parfois à envisager. Beaucoup de gens sentent instinctivement qu’un changement de cap est nécessaire pour leur procurer la vitalité dont ils ont besoin, l’alignement avec leurs valeurs, la motivation intrinsèque pour se mettre à l’œuvre et finalement avoir l’opportunité de se réaliser pleinement, ce qui ne va pas habituellement de pair avec un accroissement des poursuites matérialistes.
Et le travail n’est bien sûr qu’une partie de notre vie. Dans le prochain article, nous tenterons de voir comment utiliser la TAD de façon plus générale comme outil d’analyse et d’orientation.
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Source :
“Self-Determination Theory – Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness”, livre de Richard M. Ryan et Edward L. Deci