Haut potentiel… D’accord. Et après ?
Note : Cet article est largement (mais librement) inspiré de “The Stages of Adult Giftedness Discovery”, par Jennifer Harvey Sallin, sur le site Intergifted
Les personnes qui se découvrent « à haut potentiel » (HP) à l’âge adulte sont de plus en plus nombreuses ; il suffit de fréquenter les forums spécialisés pour s’en rendre compte. C’est généralement une insatisfaction professionnelle, un burnout, un sentiment de décalage permanent, la découverte de la douance d’un ou plusieurs de leurs enfants, ou un autre événement majeur de vie qui les a menées à se poser des questions, et finalement à passer une évaluation. Une fois les résultats obtenus, on espère souvent tenir la réponse à toutes ses questions. « Ah, cela explique tellement de choses dans mon passé. Maintenant je vais certainement savoir quoi faire et quelle direction donner à ma vie. » Tant mieux si cela a été le cas pour certain(e)s, mais souvent ce n’est pas si simple.
La découverte de sa propre douance peut ouvrir la porte à plus de questions que de réponses et in fine n’être que la première étape sur un long chemin de développement personnel – et sûrement pas la dernière. De plus, intégrer cette nouvelle information à propos de soi-même est tout un processus. Ce n’est pas évident et cela ne rend pas en soi la vie plus facile ; il y a de quoi être perplexe et même un peu perdu. Il y a bien plus derrière le haut potentiel qu’une mesure de QI ou des éléments purement intellectuels ; c’est tout un monde – son propre monde – à explorer. Ce n’est pas comme si on pouvait vous dire : « Félicitations, votre quotient intellectuel est supérieur à 130 ! Voici la carte de membre et le mode d’emploi. C’est tout bon pour vous, alors bonne continuation ! » Il n’y a pas de marche à suivre qui convienne à tout le monde. Selon Marylou Streznewski, dans son livre « Gifted Grownups », les personnes à haut potentiel sont aussi différentes les unes des autres que le sont des flocons de neige. A chacun(e) de trouver sa voie !
Alors qu’est-ce qui se passe au juste après avoir reçu son score à trois chiffres ? Où va-t-on, que fait-on ? Dans son article “The Stages of Adult Giftedness Discovery” (« Les étapes de la découverte de la douance à l’âge adulte »), la psychologue et auteure Jennifer Harvey Sallin parle de son expérience de l’accompagnement de clients lors de ce moment de bascule et au-delà. Selon elle, les personnes concernées passent par un processus qui comporte à la fois plusieurs étapes de deuil et des éléments semblables à certaines étapes de Désintégration Positive (théorie élaborée par K. Dabrowski). Pourquoi un deuil, demandez-vous ? Et bien simplement parce que « le deuil survient suite à une perte, et que même si se découvrir à haut potentiel est un gain du point de vue de la connaissance de soi-même, il s’agit également de la perte d’une version de l’identité personnelle que vous aviez construite tout au long de votre vie » (citation de l’article susmentionné, ma traduction). Mais pas de panique ! Ça c’était pour la partie « désintégration » ; ensuite vient la phase « positive ». Ce processus est une occasion pour ceux et celles qui le traversent de « mettre à jour » leur identité en y incorporant des éléments tels que la façon unique dont leur esprit fonctionne.
Alors, quelles sont précisément ces 7 étapes caractéristiques dont parle Jennifer Harvey Sallin, et comment se déroulent-elles ?
Le déni : « C’est juste pas possible que je sois vraiment HP ! »
Une fois les résultats du test connus, de nombreuses personnes sont tentées de les ranger sous le tapis. Certaines sont incrédules, pensent qu’il y a une erreur et que leurs scores ont été surévalués ou encore elles doutent à présent de la pertinence de cette information, ne sachant réellement encore qu’en faire. Par ailleurs, tellement de préjugés sont attachés au mot « surdoué » qu’il peut carrément faire peur. A ce sujet, les francophones ne sont vraiment pas gâtés. Personne n’aime ce mot, « surdoué » ; la ribambelle de pseudo-synonymes qu’on emploie montre ce désamour et le fait que l’on veut se distancier des idées reçues voire des stigmatisations qui y sont liées. Pour les anglophones, c’est simple : il y a un mot, c’est « gifted » et il est beaucoup moins connoté, de sorte qu’il est très largement utilisé. Mais pour nous il y a en plus du traditionnel HP/HPI une liste qui comprend « sur-efficient », « précoce » (oh que je déteste ce mot dans ce contexte, mais on y reviendra) et « EIP », ou encore « zèbre », « talentueux », « philo-cognitif »… Bref, cela ne fait qu’ajouter à la confusion et participe à entretenir l’idée qu’il pourrait y avoir quelque chose de honteux là-dedans.
De plus, ne vous êtes-vous jamais pris à penser vous-même que si vous étiez HP, des tas de choses surprenantes vous arriveraient ? Que si c’était vrai à votre âge vous seriez forcément astrophysicien, PDG ou un philosophe renommé ? Et puis parfois il y a ce petit refrain qui vous trotte dans la tête depuis avant même votre évaluation qui dit : « Oui, j’étais certainement surdoué(e) quand j’étais enfant, à l’école primaire, mais après je suis redevenu(e) normal(e). »
Il y a de quoi douter. D’où l’importance à ce stade de continuer à s’informer sur le sujet. Oui, un enfant HP devient un adulte HP ; non, tous les fantasmes qu’on trouve dans la culture populaire au sujet des « surdoués » ne sont pas vrais ; et quant aux étiquettes, elles n’ont pas tant d’importance que cela au final et en tout cas rien de honteux !
L’excitation: “Cela explique tellement de choses!”
Alors que l’on en découvre plus sur ce qu’est la douance survient un moment de soulagement. Toutes ces situations où l’on s’est senti en décalage avaient une explication finalement. « Je ne suis pas dingue en fait ! ». D’ailleurs, dans la période précédant l’évaluation, nombreux sont les témoignages d’angoisse sur le fait « d’échouer » aux tests (même s’il ne s’agit pas d’un examen auquel on peut échouer), de crainte de se retrouver (à nouveau) sans explication sur sa « bizarrerie ». On peut parfois lire sur les forums : « J’ai peur de ne pas ‘passer au test’ parce que si je ne suis pas HP, alors qu’est-ce qui explique que je me sente toujours ‘à côté’ ? ». Maintenant au moins on est rassuré !
Il est tentant à cet instant de partager la bonne nouvelle avec tout notre entourage, personnel et professionnel. Après tout, c’est une découverte légitimement importante que l’on vient de faire. Mais la communication peut s’avérer difficile, car la douance est méconnue du grand public. Les HP qui se découvrent doivent généralement eux-mêmes se renseigner, donc imaginez ce qu’il en est pour tous ceux qui ne sont pas personnellement intéressés à un degré ou un autre… De manière générale et peu importe l’étape à laquelle on se situe, il est préférable de bien choisir à qui on se confie, en quels termes, et en tout cas de ne pas nécessairement attendre un enthousiasme débordant de la part de ses interlocuteurs. Tout ne changera pas du jour au lendemain pour notre HP frais émoulu, ce qui nous amène naturellement à…
La colère : « Pourquoi personne ne me l’a dit avant ? Pourquoi les autres s’en fichent maintenant ?«
Et oui, si on avait eu la chance d’être identifié dans notre enfance, que de temps aurait été gagné. « Tout ce que j’aurais fait différemment si j’avais su… Et toutes les choses que j’aurais pu apprendre si seulement j’avais bénéficié d’un enseignement adapté… Ça m’aurait évité tant de fois de me sentir à côté de la plaque ! Maintenant je n’en serais pas là, à tenter de me découvrir moi-même à mon âge ! C’est pas juste que je doive faire ça aujourd’hui ! »
Ouais, enfin, peut-être mais peut-être pas. C’est certain que connaître ces éléments dans son enfance aurait pu changer les choses… si en plus l’accompagnement (des parents et des professeurs) avait été approprié à cette époque-là. Ça n’aurait pas été garanti. Il ne serait pas tellement étonnant d’entendre dire qu’une personne identifiée comme « précoce » dans son enfance ait néanmoins à découvrir sa douance et son fonctionnement unique plus tard. D’ailleurs, cela arrive. Il ne suffit pas d’avoir fait partie d’un programme scolaire spécial pour que tous les aspects de la personnalité s’épanouissent. De plus, se voir pendant toute la première partie de sa vie à travers une lentille déformante n’est pas l’apanage des HP. Cela peut arriver pour tout un tas de raisons à tout un tas de gens, par exemple suite à un traumatisme développemental ou parce qu’un haut niveau de conformité aux normes était attendu d’eux.
Bon, cela dit, c’est un fait qu’on est plutôt en colère à un moment ou un autre du processus et c’est normal. C’est même sain. La colère est une émotion qui a mauvaise presse, et pourtant il serait dommage de la réprimer ou de l’ignorer, car elle nous donne des informations importantes : elle nous dit que « quelque chose ne va pas » et surtout que cela ne peut pas rester comme ça. Elle nous invite à réaliser les changements (internes ou externes) nécessaires pour que nos besoins soient satisfaits et que nos limites soient respectées. Autrement dit, elle nous donne l’énergie d’infléchir positivement notre avenir. Du moins c’est l’une des expressions que l’on peut lui donner. Il est également possible de blâmer notre famille, l’école, le système ou le monde ; on peut d’ailleurs aussi se le permettre pendant un temps. Mais généralement on finit par se rendre compte que personne n’a eu l’intention de nous induire en erreur ou de nous faire du mal d’une quelconque façon en ignorant notre douance. Souvent nos proches on fait au mieux de leur connaissance et de leurs capacités.
Quant à notre entourage actuel, on en a déjà touché un mot plus haut, soit il n’est pas possible de parler directement de douance, soit ces personnes ne sauront pas quoi en faire, mais dans tous les cas il ne faut pas s’attendre à ce qu’on chamboule tout pour s’aligner avec nos attentes. Le style de management de l’entreprise pour laquelle vous travaillez ne va pas changer du jour au lendemain en votre honneur non plus. Il y aura certainement moyen par la suite de communiquer clairement et avec tact sur des éléments que l’on voudrait modifier, mais cela demande un peu plus de recul.
Le marchandage/la dépression/la panique : « Reprenez-le ! Comment ça, ce n’est ni repris ni échangé ?«
Moi je dirais que c’est le moment où l’on se rend compte qu’il y a un sacré boulot à réaliser et un long bout de chemin à faire pour nous comprendre et nous réinventer. C’est là que l’avalanche de questions se déclenche, alors qu’on attendait une avalanche de réponses. A ce moment de bascule, si l’on passe le cap et que l’on décide de poursuivre, la désintégration devient réellement positive. Pour reprendre la métaphore de Dabrowski, on commence à gravir la montagne, et on sait que ce ne sera pas facile.
Face au défi que cela représente, il est tentant de se débarrasser du cadeau encombrant qu’on s’est fait en passant l’évaluation. Est-ce qu’on ne pourrait pas juste faire comme avant ? On peut essayer, mais souvent une force intérieure nous pousse à entreprendre l’ascension tôt ou tard. Une touche d’impatience peut aussi s’y mêler : ce serait tellement chouette de pouvoir grimper perpendiculairement aux courbes de niveau et arriver au sommet en un clin d’œil. Mais il est impossible de prédire combien de temps la route nous prendra. Elle risque fort de zigzaguer comme les vrais chemins de montagne, ce qui fait qu’on reviendra périodiquement presque aux mêmes endroits, mais à un point d’élévation supérieur. On ne peut pas non plus « penser son chemin », juste réfléchir tellement fort qu’on en aura une épiphanie et qu’une transformation instantanée finira par se produire.
Les questions qui se posent ne sont pas nécessairement uniquement liées à la douance. C’est une période où il est vraisemblable de trouver d’autres zones de notre personnalité qu’il serait bon de repenser, d’anciennes blessures qui doivent encore guérir, des contours flous à préciser. Des exemples de problématiques qui deviennent potentiellement apparentes sont les traumatismes développementaux ou des syndromes de stress post-traumatiques complexes, y compris ce que l’on appelle « gifted trauma » (c’est une question encore mal connue dans le monde francophone à ma connaissance, et pourtant…). Une « seconde exceptionnalité » peut parfois aussi être décelée, comme un trouble de l’attention, de la dyslexie ou même des traits autistiques plus ou moins marqués. La douance permet de compenser tout un tas de caractéristiques potentiellement handicapantes, donc une fois que l’on connaît mieux le sujet, le tri se fait plus facilement entre ce qui relève du haut potentiel et d’autres spécificités.
Il est tout à fait normal de sentir qu’on a besoin d’aide dans ces circonstances, et selon chaque cas, l’assistance d’un psychologue ou d’un coach, dans tous les cas au minimum informé sur la douance, peut apporter beaucoup.
L’acceptation : « OK, ça ne va pas être simple, mais je me mets en route.«
Une fois digérée la révélation sur l’ampleur de la tâche, il s’agit de devenir « un détective de nous-mêmes », ce qui permet d’être plus au clair avec nos besoins, nos valeurs, nos préférences et de tendre vers plus d’authenticité. C’est une question de logique mais aussi d’émotions. On entreprend alors de se débarrasser des pensées limitantes qu’on a intégrées, d’idées reçues qui se révèlent fausses et inutiles, des jugements indûment négatifs sur soi-même, des rôles qui nous ont été assignés sans qu’on s’en rende vraiment compte, du perfectionnisme, …
Le but du jeu est de devenir un expert de soi-même, quelque chose que personne ne pourra faire à votre place. Et à moins que vous ne soyez une célébrité, aucun livre n’a été écrit spécifiquement sur vous, donc toute l’enquête doit être menée dans son intégralité, du début à la fin. Vous suivrez des pistes, certaines qui parfois ne donnent rien, du moins pas immédiatement, vous rassemblerez les indices et tirerez vos conclusions. Cela promet encore des lectures, des pratiques à essayer (par exemple la pleine conscience), des discussions… En avant les futurs Experts.
La reconstruction: « J’ai fait place nette pour redémarrer sur des fondations saines ; maintenant je construis !«
Ça se concrétise. Sur la base de sa personnalité, de ses capacités, de ses émotions, de son mode de fonctionnement, le tout unique et débarrassé de ses faux-semblants, que veut-on et que peut-on désormais construire ? Les domaines où ceci s’applique sont variés : on peut développer son estime de soi, ses relations (familiales, amicales, professionnelles), sa carrière…
Jusque-là le travail était essentiellement personnel et intérieur. Maintenant qu’on y voit plus clair, il s’agit aussi d’interagir avec le monde et le domaine du concret, de communiquer de manière appropriée qui on est, ce que l’on souhaite, ce dont on a besoin, ce à quoi on aspire, et en quelque sorte le matérialiser dans le monde.
De nouveau, cela peut avoir l’air intimidant. Quand on en arrive à des actions concrètes et que cela va avoir un impact visible de l’extérieur, il arrive d’avoir à nouveau l’impression qu’on doit avoir une feuille de route en béton armé et qu’on doit savoir exactement comment sa vie va se dérouler dorénavant, de crainte de s’engager à nouveau sur la mauvaise route. Mais à ce stade, une qualité essentielle que l’on peut espérer avoir développé, c’est la flexibilité, voire la résilience. On peut commencer à prendre des actions, se mettre en route, sans savoir exactement où l’on va. L’important c’est de continuer à être en contact avec soi-même et d’infléchir sa course à chaque fois que le chemin ne nous mène pas à un endroit qui nous convient. De la sorte, il n’y a jamais de fausse route ; au pire il y aura des détours, et même parfois on peut découvrir des contrées que l’on n’avait même pas imaginé visiter et réévaluer sa destination en fonction.
La créativité : « Depuis le haut de la montagne, d’autres horizons s’offrent à mon regard.«
Ce que nous avons construit est maintenant solide et peut servir de base pour d’autres explorations, d’autres constructions, ou pour créer, expérimenter, jouer. De nouvelles possibilités s’ouvrent, si nous le souhaitons avec une portée plus large. Peut-être allons-nous aider d’autres personnes dans leur ascension, contribuer positivement au monde, développer une vision à plus long terme, découvrir et concrétiser des aspirations profondes. « Plutôt que de ressentir que l’on est balloté par les circonstances, un processus de co-création avec la vie peut se mettre en place. Les défis et les problèmes ne sont plus perçus comme des choses à éviter, à nier, à craindre ou à surmonter ; ils sont plutôt envisagés comme des opportunités d’exprimer son « soi » authentique selon une myriade de nouvelles modalités » (citation de l’article susmentionné, ma traduction).
Voici donc les 7 principales étapes auxquelles on peut s’attendre. J’ajouterais qu’il n’y a rien de linéaire dans leur déroulement. Certains stades durent plus longtemps que d’autres ; parfois il y a des à-coups, des déblocages, des périodes où la progression passe au second plan. C’est parfois une problématique qui semble peu ou pas liée au processus qui nous permet de faire un bond en avant. Il est difficile de prédire quoi que ce soit, mais avoir une idée du chemin permet de rester moins longtemps immobilisé sur le bas-côté lorsque l’on ne sait plus vraiment comment avancer.
Ce thème m’a semblé adéquat pour un premier article, car d’une part, et à ma connaissance, ce cheminement est assez peu décrit, et d’autre part la majorité des sujets que je voudrais aborder se rattachent aux étapes intermédiaires. C’est donc un bon point de départ pour explorer les problématiques sur lesquelles j’ai glané des informations au fil du temps et qui peuvent intéresser les esprits curieux.
J’espère vous avoir offert quelques perspectives utiles. A bientôt dans un nouvel article.
Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.
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