Surmonter le trauma complexe
Nous avons déjà dans plusieurs articles discuté de cette forme particulière de traumatisme complexe ou développemental causé par une multitude de petites blessures, souvent passées inaperçues. Nous avons vu ce dont il s’agit et comment il s’installe, quels en sont les mécanismes, comment il peut se manifester, devenir contagieux ou adopter des formes particulières. Il est donc grand temps de s’intéresser à comment le surmonter, ou comment en « guérir ».
Car « traumatisé léger » n’est pas une identité ni une justification que l’on brandit tel un étendard. Il peut être tentant de se complaire dans les limitations que le trauma nous amène à adopter, et qui nous semblent les seules façons d’appréhender le monde. Ce serait se priver de nombreuses possibilités et prendre le risque de passer à côté de soi-même. J’insiste sur le fait que je ne parle pas ici de formes graves de trauma (syndromes de stress post-traumatiques « simples » des vétérans de guerre notamment, ou « complexes » de victimes de sévices), qui requièrent une prise en charge par des professionnels bien formés.
Une aide psychologique ou un soutien peut être nécessaire également dans ces cas moins sévères où l’on a en quelque sorte souffert de ne pas se sentir adéquat, où l’on a conclu qu’il n’était pas OK d’être soi et qu’il fallait à tout prix dissimuler nos terribles défauts, jusqu’à tenter, avec un succès de façade seulement, de nous changer. Toutefois, une grande partie du travail peut être accompli de façon autonome, voire indépendante. Du reste, entre deux séances d’aide, nous nous retrouvons fatalement seuls face à nous-mêmes.
Ce n’est ni une méthode ni une recette que je vous propose ici, mais un coup de projecteur sur plusieurs éléments qui peuvent faire partie d’un processus de guérison. L’ordre dans lequel ils sont présentés, quoique relativement logique, n’a rien d’obligatoire. Dans les faits, lorsque l’on travaille sur ce type de trauma, il n’y a aucun ordre et seulement peu de logique. Plusieurs développements peuvent avoir lieu en même temps ; il peut aussi y avoir des périodes de dormance apparente du retraitement où il semble à première vue ne s’en produire aucun. Il n’y a pas d’étapes à valider comme les niveaux d’un jeu vidéo, car l’évolution se fait en spirale ; on repassera plusieurs fois au même endroit, que ce soit pour examiner des problématiques différentes ou en prenant de la hauteur sur les mêmes sujets.
Et soyez patient(e)s, c’est un travail de longue haleine, vraisemblablement de plusieurs années. Enfin, il n’y a aucune prescription : à chacun(e) de trouver le cocktail d’éléments qui lui conviendra, avec les ingrédients et dosages appropriés, et les déclinaisons pratiques qui auront sa préférence.
Les seules étapes à avoir un numéro d’ordre : la première et la deuxième, pardi !
Comme pour tout travail thérapeutique, qu’il soit d’ordre physique ou psychologique, la phase initiale incontournable est de se rendre compte de l’existence d’une problématique. S’agissant d’un traumatisme complexe n’ayant pour origine ni événement extrême, ni généralement volonté de la part d’autrui de nous nuire, sa présence peut être difficile à reconnaître. Sans compter que le phénomène est encore peu documenté dans la sphère francophone ; donc en avoir connaissance est un atout certain.
Parfois on ne ressent qu’un vague mal-être sans cause (si ce n’est peut-être cette impression de ne pas être à la hauteur ou de ne pas être à sa place). Parfois on peut faire l’expérience d’un burn-out, autrement dit dans le cas présent tomber à court d’énergie pour « donner le change ». Il n’y a pas de généralité. Souvent, nous n’avons pas conscience que certains de nos comportements sont exagérés ou mal à propos par rapport à une situation donnée. C’est pourquoi une liste de manifestations possibles du trauma peut être utile pour identifier les conduites que l’on présente soi-même (pour ceux qui parlent anglais, je ne saurais que recommander les vidéos de Tim Fletcher sur les mécanismes et signes du trauma et le livre de Pete Walker « C-PTSD : From Surviving to Thriving » qui expliquent bien tous les tenants et aboutissants).
Découvrir l’existence de la problématique est une chose ; admettre et accepter que l’on en souffre et qu’il faut y faire quelque chose en est une autre. Comme je l’ai déjà dit ailleurs, ces petites blessures peuvent avoir l’air tellement triviales, si insignifiantes comparées aux horreurs dont on entend parfois parler… Sans oublier cette petite voix intérieure qui vous rappelle sans qu’on l’ait sollicitée d’arrêter de vous plaindre, parce que vous êtes juste fainéant et intrinsèquement déficient, sans quoi tout irait bien pour vous. C’est le serpent qui se mord la queue : le trauma qui nie sa propre existence ! Cela peut prendre du temps de se convaincre qu’effectivement il y a un souci auquel on peut remédier. C’est cela la deuxième étape. Et une fois qu’elle est franchie, on commence à tracer soi-même les chemins de sa rémission, avec ses détours et des retours, sur une carte vierge.
Travail cognitif et principes directeurs
On ne peut « penser son chemin à travers le trauma », pour traduire littéralement ce que diraient les anglo-saxons. Peu importe combien on réfléchit ou combien on apprend, cela ne suffira pas ; ce n’est pas au niveau conscient le plus évolué que se jouent les mécanismes en cause, mais à des niveaux plus profonds et pour tout dire probablement pour bonne part hors du cerveau (voir la théorie polyvagale). Toutefois, une certaine base de connaissance est utile pour comprendre un minimum ce qui se passe. Pour l’acquérir, il est possible de lire ou de se renseigner auprès d’un praticien bien informé (toutes ces sources étant à ce jour malheureusement rares en France).
Comportements non-optimaux et pleine conscience
Bien que l’on ait peut-être déjà identifié quelques pensées et comportements non-optimaux, il en reste vraisemblablement à découvrir. Pour cela, s’entraîner à la pleine conscience peut aider. Cet outil vise à remarquer nos pensées et émotions sans jugement. Nous pouvons alors les observer avec curiosité et en faire l’inventaire (qui ne sera pas exhaustif ; seulement ce qu’on a pu observer à un moment donné) pour les analyser plus tard.
Car par la suite, il s’agit d’être critique par rapport à nos réactions (et pas uniquement ici de les « laisser passer »), tout en restant bienveillants avec nous-mêmes et surtout en ne nous culpabilisant pas. Les comportements non-optimaux automatiques, même s’ils peuvent après examen sembler étranges voire absurdes, se sont installés à une époque donnée en utilisant les ressources disponibles en urgence à ce moment-là dans le but de nous protéger et de nous permettre de survivre face à un danger perçu. On pourra simplement se demander, avec l’expérience et les ressources dont on dispose maintenant, si une autre conduite est plus appropriée et nous servirait mieux.
La pleine conscience, ou du moins être plus conscient de ses propres réactions, nous permettra également d’essayer de mettre cette conduite alternative en œuvre lorsque la situation se présentera de nouveau. Encore une fois, la bienveillance est de mise : on n’y parviendra pas la première fois (ni peut-être les suivantes), et par ailleurs la solution retenue devra probablement être réévaluée.
Un processus en spirale
En effet, ce n’est pas un processus instantané, et de nombreux allers-retours sont nécessaires entre différents niveaux cognitifs, physiques et émotionnels pour atteindre une solution susceptible de réellement fonctionner. Comme je le disais en introduction, la guérison du trauma se fait en une spirale dans laquelle chacune des parties impliquées et chacun des niveaux s’informent les uns les autres. Le travail ne pourra jamais uniquement être cognitif, en ce qu’une implication somatique et corporelle s’y liera rapidement. On s’aventure très rapidement en dehors du domaine de la pure raison et de la logique.
Identifier les stratégies de coping
En plus de comportements et pensées non-optimaux, il peut être intéressant de déterminer quelle(s) stratégie(s) de faire-face (ou coping) nous domine(nt). Cela participe à la compréhension générale de la situation et permet de regrouper certaines conduites en un ensemble qui prend sa source dans la même cause. Dans le cadre d’un travail somatique basé sur la théorie polyvagale, la connaissance des stratégies de coping aide à déterminer les états du système nerveux autonome (nous y reviendrons). C’est l’occasion aussi de détecter les déclencheurs (triggers) de nos tentatives maladroites de d’autoprotection.
Notion de titrage
A un certain point, se confronter à des déclencheurs à une dose gérable sera nécessaire ; on ne peut faire l’économie d’une certaine exposition au stress pour progresser. Toutefois, il importe de respecter le principe dit « de titrage ». Si vous avez fait un peu de chimie à l’école, sans doute avez-vous été amené à déterminer la concentration d’une solution acide ou basique à l’aide d’un indicateur qui change de couleur selon le pH du milieu, la bascule indiquant le passage à un état neutre. On ajoute à la solution à titrer (à mesurer) un réactif au goutte à goutte depuis une burette graduée, en prenant bien garde à ne pas aller trop vite, de sorte à remarquer l’inflexion de la couleur et à fermer aussitôt la burette, afin de savoir exactement combien de réactif a été nécessaire pour compléter la réaction.
Pour ce qui nous occupe, ce principe s’applique également. Il s’agit de ne se confronter qu’à la juste dose de stress, d’explorer la juste dose de trauma à la fois et de rester attentif afin de fermer les vannes au bon moment. Être aux prises avec trop de l’un ou de l’autre peut avoir un effet re-traumatisant. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la « guérison express » n’est pas réellement souhaitable et qu’elle peut au contraire prendre longtemps, toujours avec ces allers-retours en spirale.
Critique intérieure et extérieure
Un dernier point à évoquer dans cette partie « cognitive » est celui de la critique, ou encore juge ou censeur, cette petite voix intérieure, produit d’une partie de nous qui se veut rationnelle, ou en tout cas qui s’attache à rationnaliser nos stratégies de coping en les installant dans une histoire. La critique dirigée vers l’intérieur, vers nous-mêmes, se chargera de pointer du doigt tout ce qui chez nous est supposément inadéquat, et nous rappellera de surtout bien nous sentir honteux. Alternativement, le juge peut se retourner vers l’extérieur pour nous montrer combien les autres sont supposément dangereux, pas fiables ou bêtes entre autres.
Les deux modalités n’ont aucun fondement réel, mais participent à pérenniser nos stratégies de coping en leur donnant un aspect justifié qu’elles n’ont pas. Le trauma naît au niveau des systèmes nerveux autonome et limbique, mais le cortex entend ne pas être en reste et s’en mêle en créant un contexte autour de ces réactions, dans une tentative d’aider les autres parties à nous faire survivre. Si les réactions-réflexes ont fonctionné par le passé, autant que l’on continue de consentir à s’y engager de soi-même, volontairement. Et pour cela, quoi de mieux que de croire avoir une bonne raison ?
L’une des approches pour retraiter le trauma est d’identifier le monologue de ces critiques, intérieure et extérieure, d’examiner ce qu’elles nous disent, de déterminer si cela reflète ou non la réalité et de ne pas les suivre lorsque leur message est trompeur. Cela rejoint l’évaluation des comportements et pensées non-optimaux, et ici aussi la pleine conscience peut être un outil.
Au fil du temps, ces voix se feront moins présentes et plus objectives. Le but n’est pas de les faire taire tout à fait, mais de les ramener dans de justes limites. A l’équilibre, elles redeviennent des conseillères fidèles. La critique intérieure nous amène alors à agir en fonction de nos propres valeurs et dans notre intérêt réel. Elle met en lumière les occasions où nous ne respectons pas nos propres règles et nous invite avec bienveillance à faire mieux la prochaine fois. La critique extérieure évalue la situation et nous avertit des éventuels dangers sans les exagérer, mais est aussi capable de repérer les opportunités. Ce changement dans « leur » vision est un indice de progression dans la rémission.
Travail somatique
Comme suggéré plus haut, la raison pure ou la réflexion ne suffisent pas à venir à bout du trauma. A un moment, il est bon d’accepter l’implication de notre corps dans la problématique. Voilà encore quelque chose qui n’est pas évident. Notre culture cartésienne voudrait faire régner l’esprit sur la matière, mais cette raison n’a pas entièrement raison. Les émotions sont initialement des phénomènes physiologiques et physiques (variation du rythme cardiaque ou respiratoire, tension dans les muscles, douleurs, etc) produits en grande partie par notre système nerveux autonome (c’est-à-dire, avec peu de contrôle de notre cerveau). C’est ce à quoi s’intéresse notamment la théorie polyvagale (la lecture de cet article est recommandée pour bien comprendre la section qui suit).
Si l’approche cognitive peut être vue comme une approche du haut vers le bas (top-down), l’approche somatique est son complément qui va du bas vers le haut (bottom-up). On voit bien qu’à un certain point elles doivent se rencontrer.
Centrage sur les sensations physiques
Les portes d’entrée les plus souvent proposées en ce qui concerne le travail somatique sont notamment le yoga et le body scan (qui consiste à examiner avec curiosité tour à tour toutes les parties du corps ; c’est un dérivé de la pleine conscience).
Selon la stratégie de coping dominante, les manifestations physiques peuvent être différentes et les techniques pour les alléger différentes. Certaines personnes auront quelque peu perdu contact avec leurs sensations corporelles, et du coup vraisemblablement avec certaines de leurs émotions authentiques également. On entend fréquemment parler de gens qui vivent surtout « dans leur tête », et ont en quelque sorte cessé d’habiter leur corps (un indice peut être de réagir plus aux émotions des autres, que l’on peut intellectualiser, comprendre, tout en paraissant ne pas avoir beaucoup d’émotions propres). Renouer connaissance avec le corps permet d’être plus à son écoute et d’entendre les messages véhiculés par les émotions. On parle en anglais « d’embodyment », du fait d’habiter son corps.
On peut aussi prendre conscience de nombreuses tensions passées inaperçues, qui ont été accumulées pendant de longues périodes. On cite régulièrement des contractures des épaules, du diaphragme, des muscles du bas du dos et notamment des psoas (muscles étonnants qui s’attachent sur le haut du fémur et traversent le bassin et une partie de l’abdomen pour aller s’accrocher sur les vertèbres lombaires). Ces contractures pourraient être le résultat de l’inhibition de réactions de lutte ou de fuite, par exemple quand on y renonce dans une stratégie de fawning (soumission). On ne se rebelle pas, on ne se dérobe pas, mais cela ne signifie pas que nos muscles ne reçoivent pas du tout d’indications dans le sens d’une mobilisation. Toutefois celle-ci ne s’exprimera pas et la tension s’accumule. La chaîne musculaire est un peu comme un ressort que l’on comprime sans jamais le laisser se détendre ; les spires se resserrent. Etirer ces zones peut ramener un certain équilibre. Selon la théorie polyvagale, une boucle de rétroaction existe entre les états physiques et émotionnels, or la sensation de ne pas pouvoir bouger, d’être limité dans ses mouvements, envoie un signal négatif.
Pour d’autres personnes (notamment en stratégie d’immobilisation), bouger peut avoir une grande importance. Certaines se mettent aux arts martiaux pour (ré)activer leur capacité à se défendre, donc à se mobiliser, et donc leur confiance en elles. Pour d’autres engagées dans le mécanisme de lutte, évacuer leurs tensions dans le sport, se fatiguer physiquement, peut les aider à retrouver un état plus calme. Enfin pour celles qui recourent à la fuite, avoir la possibilité d’être immobile dans un milieu sécurisé peut les aider à percevoir qu’elles n’ont pas à décamper physiquement ou psychologiquement à tout moment. Il ne s’agit ici que d’exemples. D’autres activités ont des effets positifs (chant, danse, théâtre, peinture, etc).
Comprendre l’état de son système nerveux autonome (SNA)
Ce qui précède est bien sûr basé sur les états du système vagal et du système nerveux autonome (de nouveau, voir la théorie polyvagale). Un petit retour au travail cognitif peut être ici utile pour connaître la théorie sur ces états, déterminer dans lequel on se trouve, et quelles activités (à composante physique et/ou sociale) peuvent nous permettre de retrouver l’état neutre caractérisé par l’engagement du système vagal ventral (sécurité, et engagement social). C’est ce que l’on nomme « l’échelle du SNA », avec ses trois échelons (de haut en bas) : vagal ventral, mobilisation sympathique, immobilisation parasympathique/vagal dorsal. L’état à son sommet est celui où l’on connaît le calme et qui est considéré comme l’état de base, mais répétons que chaque niveau a son utilité et qu’il est bon de naviguer avec fluidité et à bon escient entre eux. Pour y parvenir toutefois, il est nécessaire de lever le blocage causé par le trauma qui nous enferme dans l’un d’entre eux.
(NB : Vous pouvez aussi pratiquer des exercices évoqués dans l’article sur la théorie polyvagale qui reposent sur l’utilisation de la boucle de rétroaction et passent par le souffle, les massages du nerf vague ou l’implication des nerfs crâniens de la face).
La nature et le « grounding »
Comme je l’avais déjà évoqué, toujours dans l’article sur la théorie polyvagale, le contact avec la nature permet de réguler l’état du système nerveux autonome. Faire partie d’une tout plus grand et non-jugeant est une sensation qui permet de se sentir adéquat, à sa place, validé. Rien que le fait de sentir le sol sous vos pieds, de savoir qu’il vous soutiendra, apporte un certain confort, et observer ce contact avec curiosité est un exercice on ne peut plus simple à réaliser, que l’on nomme « grounding » en anglais. Les animaux domestiques apportent généralement du réconfort et de la sérénité également, leur présence et leur confiance étant rassurantes, et leur résilience inspirante.
Renouer avec (toutes) ses émotions
De cela, nous avons déjà parlé aussi, mais redisons-le : les émotions sont des messagers (physiques) qui ont tous leur utilité et qu’il est bon d’(e ré)apprendre à écouter. Parmi les six émotions de base généralement acceptées, il n’y en a qu’une d’évidemment positive (la joie, celle dont on voudrait nous voir faire démonstration en permanence) et les cinq autres seraient considérées comme négatives et/ou dispensables. C’est particulièrement vrai dans le fawning : il est essentiel de faire bonne figure. Les autres stratégies de coping seront fustigées quant à la dominance d’une autre émotion (par exemple la colère pour la lutte, la peur pour la fuite, la tristesse pour la démobilisation). Pour sortir du trauma, les personnes qui s’en étaient coupées gagnent à se réapproprier toutes les émotions, même et surtout celles qui ont mauvaise presse comme la colère.
« Grieving » et « Re-parenting » : deuil et re-parentage
Il y aurait trop à dire sur le sujet pour l’intercaler dans cet article, c’est pourquoi un autre lui sera complètement dédié très bientôt. Ce que l’on peut dire pour l’instant, c’est que dans le cadre d’un traumatisme développemental, notre passé et la relation avec les personnes qui se sont occupées de nous n’ont pas été idéaux. Il y a donc un deuil à faire de l’un et de l’autre, ce qui implique de s’autoriser à ressentir tristesse et colère par rapport aux situations passées qui ont laissé des traces, sans pour autant blâmer notre entourage.
Dans un second temps, puisque l’on n’a pas intégré à un jeune âge certaines compétences qui nous auraient permis de construire et d’entretenir une solide estime de soi, il nous appartiendra de nous les apprendre à nous-mêmes en tant qu’adultes, et donc de nous re-parenter, de nous valider, de nous apporter un soutien inconditionnel à nous-mêmes et développer de l’auto-compassion.
La version longue arrive bientôt.
Se défaire de la honte
Souvent, suite à un traumatisme développemental, la honte est la principale « émotion » que l’on ressent. C’est tout à fait logique : il n’était pas OK d’être soi-même, donc dès que l’on est, que l’on agit, ou même qu’on envisage d’être ou d’agir agir différemment de ce qui est attendu, la honte nous saisit. Si l’action ou le comportement indésirable n’a pas encore eu lieu, elle nous « remet sur le droit chemin » (même si ce n’est pas le nôtre), mais si le fait indésirable s’est déjà produit, il ne nous reste plus qu’à nous fustiger nous-mêmes et à nous apitoyer à l’idée de combien nous sommes mauvais et inadaptés.
C’est le pendant « somatique » de la voix du juge ou du censeur interne qui se veut rationnel. Il s’agit en fait d’un mélange de plusieurs émotions, de colère, de tristesse, de dégoût, dirigés vers soi-même, qui avait pour but, comme toujours, de nous protéger en nous faisant adopter un comportement qui nous vaudrait de l’approbation au détriment de celui qui nous serait venu spontanément. Ces émotions ne sont pas dans ce cas entièrement les nôtres propres, car elles sont le produit d’une forme d’apprentissage plutôt que d’un réflexe inné.
De même qu’il s’agit de ramener le juge ou le censeur dans de justes limites, la honte doit être remise à la place qui est la sienne. A l’équilibre, elle nous pousse à nous améliorer lorsque nous ne sommes pas en accord avec nos propres valeurs, mais avec fluidité. Après le travail d’analyse plus ou moins cognitif visant à déterminer les circonstances où nos voix intérieures nous font faire fausse route (approche top-down), la honte (dans l’optique bottom-up) liée aura naturellement moins d’occasions d’affleurer. Toutefois, comme nos automatismes ont la vie dure, il sera bon d’identifier les sensations liées pour les apaiser si elles n’ont pas lieu d’être.
De l’autre côté du miroir
Afin de sortir du trauma et de développer de nouveaux comportements, il est idéal de disposer d’un miroir. Bien sûr, je ne parle pas de celui accroché au mur, mais de personnes ou de moyens qui vous renvoie une image (bienveillante on l’espère) de vous-même, de ce que vous êtes au-delà des apparences. Il s’agit de la notion de « mirroring ». Ces contreparties et outils vous aideront à vous connaître (notamment par l’impression neuroceptive créée chez autrui) et à expérimenter le fait qu’en définitive il est OK d’être vous-même (entre autre grâce à la co-régulation).
Self-therapy
Il est possible de se « fabriquer soi-même » un miroir, par exemple en tenant un journal (écrit le plus spontanément possible et sans être trop attentif à la forme). En se relisant, on peut prendre un peu de hauteur et parfois s’étonner soi-même. D’autres options sont de s’enregistrer ou de se filmer en parlant. Pour certains, d’autres expressions artistiques telles que la peinture ou la sculpture peuvent être révélatrices. Toutefois, ces techniques se privent de plusieurs outils de feedback que seule la présence d’une autre personne rend disponibles, comme nous allons le voir. Mais en première approche ou en complément d’autres pratiques, celles-ci ont toute leur place.
Aide d’un thérapeute
Loin de moi l’idée de dresser ici une liste de toutes les formes et courants de thérapies verbales et d’essayer de déterminer laquelle est la plus indiquée dans le cas présent. Ce que je dirais d’une manière générale, c’est qu’un thérapeute non seulement peut vous aider à naviguer à travers l’entièreté du processus de guérison, mais pourrait en être un facteur plus ou moins actif. Il ne s’agit pas de vous dire quoi faire bien sûr, ou de vous apporter des solutions qui ne viennent pas de vous-mêmes. Par contre, la thérapie est en elle-même une interaction sociale, qui se déroule dans un cadre sécurisé et sécurisant. Dans ce contexte, le phénomène de co-régulation, dont nous avons déjà parlé plus haut, peut se mettre en marche, et vous aider à retrouver l’état vagal de base (ventral), lié à la sécurité.
Le thérapeute peut également apporter une forme de validation, qui a souvent cruellement fait défaut. Ce que vous aurez envie de dire durant la séance sera accueilli sans jugement, tel quel, sans avoir à être différent. Le processus de neuroception peut également être mis à profit à votre bénéfice par le thérapeute, car bien souvent ce que prétendent nos mots n’est pas en ligne avec ce que révèle notre langage non-verbal corporel. D’ailleurs, certains praticiens ont recours à la médiation d’animaux (notamment des chevaux), plus sensibles et intuitifs que la plupart des humains, pour en découvrir plus sur l’état émotionnel de leurs clients que ce que ceux-ci peuvent exprimer. Cela peut être un outil pour identifier les émotions et les nommer, en plus de réaliser une classique ventilation verbale. Enfin, un professionnel bien informé sera attentif à respecter la règle de titrage et vous évitera d’en faire trop.
Les groupes
C’est bien d’avoir quelqu’un qui est payé pour vous valider, mais être en présence de gens qui font ça sans qu’on le leur demande c’est encore mieux. L’aide d’un thérapeute est souvent une étape indispensable, mais lorsque l’on a regagné un peu d’aplomb, de confiance et d’estime de soi, rien de tel que de pouvoir échanger avec d’autres personnes. Il peut s’agir d’amis, si vous avez la chance d’en avoir qui ont la volonté et la capacité d’interagir sur un sujet aussi délicat que le trauma, mais il peut aussi être question d’un groupe dédié.
Comme toujours, ce que l’on recherche, c’est de la validation, en tant que personne pour qui il est OK d’être elle-même. On ne trouve pas une ambiance propice dans n’importe quel groupe. Il faut que les participants comprennent la démarche dans laquelle ils se trouvent pour s’apporter les uns aux autres le soutien adéquat, donc qu’ils aient un peu cheminé sur ce type de questionnement. A certains moments, la simple certitude que les membres du cercle vous donnent un espace disponible pour exister en leur présence permet de progresser, sans que le sujet de la discussion soit cantonné au seul trauma.
Si par contre l’atmosphère d’écoute et de compassion n’est pas au rendez-vous, il ne sera pas possible d’être sainement vulnérable et le recours à l’auto-protection sera justifié. Le but n’est pas non plus de se livrer à n’importe qui. Il faut des relations pour guérir, de la co-régulation, et un stress optimal pour avoir de la stimulation, mais toujours à juste dose, titrage oblige, et cela reste vrai en groupe.
Intégrité et authenticité
Une fois arrivé à un niveau suffisant de guérison du trauma, lorsque votre coque d’estime de vous est consolidée, vous pourrez ajouter des superstructures à votre embarcation. De nouveau, cela peut s’intégrer dans la logique en spirale, donc il n’est pas nécessaire d’avoir un « certificat de totale rémission » pour avancer. Très honnêtement, la frontière entre cette guérison et le développement personnel ultérieur est pour moi très floue et fluide. Les sujets tels qu’établir des limites, apprendre à dire non, reconnaître ses besoins et les faire respecter, être sa propre autorité et s’autodéterminer dansent avec la sortie du trauma. Quant à la Désintégration Positive, il me semblerait cohérent de dire que ses deux premiers niveaux peuvent dans certains cas être parallèles au processus de guérison dont nous parlons (même si pour d’autres la désintégration peut se faire sur une base d’estime de soi forte, donc sans trauma initial).
Voilà pour cet article encore une fois bien long. A votre avis, est-ce que je m’ingénie à essayer de faire tenir un livre sur un blog ? 🙃
Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.
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Sources:
- « Le corps n’oublie rien – Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », livre de Bessel van der Kolk, expert sur le SSPT
- « Complex PTSD: From Surviving to Thriving », livre de Pete Walker, thérapeute spécialisé dans les traumatismes complexes et les strategies de coping
- « Le Drame de l’Enfant Doué », livre d’Alice Miller, psychologue (NB : ici, « doué » n’est pas à prendre dans le sens HP, mais plutôt dans le sens « sensible »)
- « Discovering the Inner Mother: A Guide to Healing the Mother Wound and Claiming Your Personal Power », livre de Bethany Webster
- « The Polyvagal Theory in Therapy – Engaging the Rhythm of Regulation », livre de Deb Dana, preface de Stephen W. Porges
- Série d’interventions de Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) sur le Complex trauma
- Site du Dr Arielle Schwartz
« A votre avis, est-ce que je m’ingénie à essayer de faire tenir un livre sur un blog ? 🙃 »
Pour répondre à votre question: oui! Dans le sens que la qualité du contenu et de la structure de vos articles sont au-delà de bien des livres sur le haut potentiel que j’ai lus… Et certainement plus utiles que ceux disponibles en français.
Avant de lire cet article et celui sur la théorie polyvagale, j’avais l’impression qu’il s’agissait encore de trucs psycho-pop sans trop de fondements empiriques… Mais la façon dont vous les présentez est juste… exactement ça! Tout concorde avec mon expérience et mes autres lectures. C’est comme si vous aviez écrit chacun des articles pour moi 😊
Merci de partager vos connaissances de manière aussi simple et concise, mais complète. La lecture de votre blog est vraiment inestimable.
Merci pour votre gentil commentaire. Oui, certains sujets ont l’air absents en francophonie (surtout en Europe) et je ne pense pas que cela soit seulement une question de barrière linguistique. Je suis toujours contente lorsqu’il semble que ma modeste contribution soit utile. 🙂