Les signes du traumatisme complexe
Nous avons déjà examiné ce qu’était le traumatisme complexe ou développemental et quelles sont les quatre stratégies de coping dans lesquelles ces traumatismes peuvent nous piéger. Ces dernières donnent lieu à un ensemble de comportements qui partagent un même but : nous protéger, serait-ce maladroitement et de façon automatique, c’est-à-dire sans chercher à trouver des réactions innovantes. Dès le moindre signe de danger perçu (réel ou imaginé), notre mode de fonctionnement par défaut se met en route. Nos actions sont donc teintées par nos stratégies de coping de prédilection.
Certaines caractéristiques dénotant la difficulté à faire face sont plus ou moins partagées par la plupart des personnes souffrant d’un traumatisme complexe. Vous vous demandez peut-être s’il est nécessaire de les lister, et bien ma réponse est oui : la première réaction lorsqu’on entend parler de traumatisme complexe est de se dire qu’on n’est pas concerné ; c’est une impression qui peut changer une fois que l’on a reconnu certains de ses penchants dans une telle liste de signes révélateurs. Elles sont bien trop nombreuses pour les énumérer et les développer toutes ici. Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) en dénombre pas moins de 50 (mais, sorry Tim, j’ai perdu le compte à chaque fois !) et ça lui prend des heures pour les exposer. Je vous en donne donc les principales, organisées en groupes, car plusieurs d’entre elles se recoupent.
Il n’est pas nécessaire de « cocher beaucoup de cases » pour être concerné par le traumatisme complexe, mais cette énumération est une opportunité de considérer la question.
L’autocritique exacerbée : le juge intérieur
Il est fréquent de développer tout un tas de fausses croyances ou de pensées limitantes sur soi-même. On est trop ceci, pas assez cela, incapable, sans valeur, pas aimable, pas aimé,… C’est le résultat des critiques qui nous ont été adressées ou de l’absence de validation (même s’il n’y a pas eu de commentaires désobligeants). On peut avoir ce petit juge ou censeur dans la tête qui commente tout ce que l’on fait et pointe du doigt la moindre imperfection. L’estime de soi s’en trouve fort affaiblie, puisque l’on ne peut trouver soi-même de situations où l’on a été adéquat ou lors desquelles ce que l’on a fait a été suffisant.
Il s’ensuit que l’on n’accepte pas bien la critique des autres. Si l’on passe sans arrêt ses actions et ses pensées au crible, il est douloureux que quelqu’un d’autre vienne en rajouter une couche. Cela semble confirmer tous nos défauts et nous fait réagir avec l’un de nos modes par défaut (« 4F »). On devient donc incapable de reconnaître la valeur constructive de certains commentaires, ce qui gêne toute évolution positive.
Les jugements négatifs de notre esprit s’étendent à nous-mêmes, mais également à tout ce que l’on fait, à ce qui pourrait nous arriver, à ce que les autres pensent. Prêter des pensées aux autres (généralement peu flatteuses à notre sujet), souvent des projections de notre monologue intérieur, faire des suppositions sur ce qu’ils pensent de nous est une tendance forte pour les personnes souffrant de trauma. On en perd quelque peu le contact avec la réalité. Imaginer tout ce qui pourrait mal tourner est aussi un frein majeur à toute entreprise et pousse à l’immobilisme. Il est difficile de s’en dépêtrer ; même lorsque l’expérience nous montre que 99% d’une situation sont parfaits, le pourcent restant peut tout gâcher.
La fausse culpabilité
Dans le même ordre d’idées, on peut se sentir responsable des émotions négatives des autres et donc culpabiliser, en pensant que c’est de notre faute s’ils sont tristes, en colère, fatigués, etc. Par conséquent, certains feront tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter les inconforts aux personnes de leur entourage (même s’ils n’y sont en fait pour rien) ; être en présence de négativité est simplement insupportable pour eux. Souvent, cela peut engendrer une peur de dire « non », peu importe combien on voudrait refuser une demande qui nous est faite.
Certains mettront ainsi en place une stratégie de « people-pleasing » (particulièrement présente dans le cas du fawning, mais dans d’autres modes de coping également). On sera le meilleur employé pour « faire plaisir » à son patron (avec tous les risques de perfectionnisme, de manipulation à son encontre et de burnout que cela comporte), la fée du logis, la maman parfaite (le burnout parental, cela existe aussi), l’ami attentionné, tout cela en même temps, et c’est épuisant ! Sans compter qu’on risque d’essayer de faire le bonheur des gens malgré eux… Par ailleurs, gare à la perfection parentale, car selon la fameuse formule de Winnicott, il s’agit d’être un « parent suffisamment bon ». Gâter les enfants jusqu’à les pourrir, leur éviter tous les écueils et les empêcher de se frotter à la vie n’est pas bon pour eux (et contagieusement traumatique, qui sait ?).
Des relations de co-dépendance peuvent se mettre en place, dans lesquelles les deux personnes ont vraisemblablement connu un traumatisme. L’une d’elles sera en position dominante et l’autre fera passer ses besoins et limites au second plan pour satisfaire sa contrepartie. Des parents pourraient ainsi vivre au travers de leurs enfants, quitte à les contrôler. « J’ai besoin que tu sois heureux (pour l’être moi-même), mais ce sera à ma façon », pourraient-ils penser.
Autour de la peur du changement
Ne pas être certain de pouvoir faire face à quelque chose de nouveau ou d’inconnu est effrayant, ce qui peut pousser certaines personnes à préférer rester dans des situations malsaines plutôt que de les quitter pour un nouvel horizon qu’elles ne connaissent pas. Elles peuvent également ne jamais rien entreprendre et rester figées dans l’immobilisme, afin de ne pas être déçues et de ne pas risquer l’échec.
Si la peur de l’échec intimide assez logiquement, il est frappant de constater que pour certains survivants de trauma la peur du succès est tout aussi nocive, allant jusqu’à les pousser à l’auto-sabotage. Lorsque les choses se passent bien, ils deviennent anxieux, en se disant que ce n’est simplement pas normal, que forcément cette chance incroyable va cesser et qu’il vaut mieux se préparer au retour de bâton. Les probabilités d’atteindre le succès s’en trouvent évidemment amoindries mais il peut carrément arriver que l’on décide de détruire soi-même le fruit de son labeur de façon préventive ou simplement d’interrompre la dynamique positive. Puisque l’on est convaincu que rien de bien ne peut se passer, autant ne pas attendre que cela arrive et prendre les devants, voire garder le contrôle en agissant soi-même.
L’espoir lui-même peut être perçu comme dangereux et il est alors plus confortable de ne même pas songer à essayer d’améliorer son sort. Lorsque l’on a maintes fois été impuissant à agir et à contrôler son environnement, il arrive de développer ce que l’on appelle une impuissance apprise. Par exemple, si quel que soit le niveau d’effort déployé un enfant n’arrive pas à résoudre un certain problème de maths selon la méthode enseignée et qu’on ne lui propose pas d’alternative mieux adaptée à son style d’apprentissage, il pourra en déduire qu’il est nul et ne même plus essayer ; il a appris à être impuissant. Dans des cas moins triviaux, cela peut résulter du fait que peu importe la gentillesse ou la serviabilité qu’un petit met en œuvre pour satisfaire un parent, il essuie toujours des critiques, ne reçoit pas d’attention ou de validation, voire reçoit des coups. Dorénavant, il n’essaiera plus d’y faire quelque chose et il acceptera son sort sans rien espérer d’autre ni essayer de l’éviter. A l’âge adulte, la même dynamique peut persister (par ailleurs l’impuissance apprise peut également être provoquée plus tard dans la vie, par exemple par des violences conjugales ou autres types de harcèlement).
Les raisonnements déformés
Tirer des conclusions exagérées ou simplement fausses n’est pas rare pour les personnes traumatisées. Elles pourraient se dire qu’elles ont eu une mauvaise journée et en conclure que dorénavant plus rien n’ira jamais bien. Elles peuvent aussi appliquer des « raisonnements émotionnels ». Par exemple, elles envoient un message à un ami et celui-ci ne leur répond pas immédiatement. De suite, elles se sentent rejetées et en concluent que leur ami les rejette bel et bien, allant éventuellement jusqu’à lui en faire le reproche sans attendre. Elles n’envisageront pas la possibilité qu’il est simplement occupé et répondra plus tard, ou alors elles considéreront cette option comme moins vraisemblable que le réel rejet. C’est aussi ce qui peut se passer lorsque l’on rentre dans une pièce, que les personnes présentes se mettent à rire et que l’on se convainc qu’on est la cause de leur hilarité.
La pensée en noir et blanc relève également de la déformation. Ce sera le cas de raisonnements du type « Tu es avec moi ou contre moi » ou alors « Si je ne peux pas faire quelque chose parfaitement, alors je ne le ferai pas du tout ». Le catastrophisme, ou l’art de penser que seul le pire peut arriver, en est un autre exemple.
Difficulté à gérer le stress
La difficulté à gérer le stress et à y répondre adéquatement peut évidemment se présenter lorsque la charge de travail ou les responsabilités sont très élevées. Selon la stratégie de coping, les réponses seront différentes : agressivité, défausse sur d’autres collaborateurs, effondrement, anxiété, fuite en avant… Le stress impacte tout le monde, bien évidemment, mais les personnes traumatisées se sentiront généralement plus menacées qu’il n’est raisonnable par la situation qui se déroule.
Il n’y a pas que dans la sphère professionnelle que cela se manifeste. D’autres exemples de stress sont le fait d’être confronté à une personne en colère, le sentiment de vulnérabilité, la solitude, le simple fait de se dire qu’on n’aurait pas dû dire quelque chose parce qu’on ne sait pas ce que l’interlocuteur en aura pensé ou que cela peut nous mettre en porte-à-faux, etc… D’une manière ou d’une autre, une personne traumatisée risque de perdre les pédales, de sur-réagir ou au contraire de s’effacer complètement.
Les problématiques psychologiques « classiques »
Cela va presque sans dire que les personnes traumatisées ont une susceptibilité supérieure à la moyenne de développer des troubles psychologiques, au nombre desquels l’anxiété, le burnout, et la dépression. Les addictions rentrent aussi dans cette catégorie, quel qu’en soit l’objet : alcool, drogue, jeu, sexe, nourriture, … Selon les cas, elles auront pour but d’être des voies de fuite, ou seront des calmants aux douleurs psychiques, des substituts pour ce dont on est privé, etc.
Autour de la confiance
Si nos besoins ont été continuellement ignorés dans l’enfance, même par ceux dont la mission était de s’occuper de nous, il est compréhensible de penser que l’on ne peut faire confiance à personne et de ne compter que sur soi-même. A minima, on hésitera plus que d’autres à accorder sa confiance. Une façon de s’assurer que l’on recevra l’attention que l’on désire et que nos besoins seront comblés est alors de tout contrôler, y compris notre entourage, voire de passer un cran au-dessus et de manipuler ses proches. Cela peut être subtil : parfois ignorer (« traitement silencieux ») la personne qui ne nous répond pas de façon positive peut suffire à la faire culpabiliser.
Ensuite, si l’on ne peut faire confiance à personne, comment s’autoriser à être honnête avec qui que ce soit ? Comment s’assurer que l’on n’utilisera pas nos faiblesses contre nous ? Alors le mieux à faire est de ne rien laisser paraître d’un quelconque souci. « Tout va très bien » ; cela devient une façade. Et si cela ne va pas, il sera impossible de demander de l’aide et le problème peut perdurer plus que de raison. En d’autres termes, ces comportements reflètent une peur de l’intimité, alors même qu’elle est souhaitée. Certains iront jusqu’à devenir des menteurs compulsifs. Ils ont une histoire pour tout le monde, même s’il est possible voire même plus simple de dire la vérité. Ils ont ainsi l’impression de se ménager une porte de sortie, même s’ils ne savent pas pourquoi ou si ils en auront besoin.
Une façon de se cacher et d’éviter l’honnêteté est de renvoyer une image de soi qui occupera toute l’attention de nos interlocuteurs, éclipsera notre vraie identité et nous évitera toute authenticité. On voit des personnes qui misent tout sur leur apparence. Certain(e)s vont multiplier les conquêtes amoureuses ou garder précieusement une relation par le biais de laquelle ils ou elles se sentent valorisé(e)s. Des gens se jettent à corps perdu dans leur carrière (et lorsque l’heure de la retraite a sonné, c’est un drame !). D’autres joueront les durs pour gagner du respect.
Créer ce que l’on essaie d’éviter
Par peur de l’abandon, certaines personnes peuvent devenir collantes ou agaçantes à force de solliciter la validation de leur entourage. Par exemple, il y a celles qui sont toujours à la pêche aux compliments. Cela est généralement considéré comme normal chez de jeunes enfants qui interpellent leurs parents de façon répétée en leur disant « Regarde ce que je sais faire ! ». Mais un comportement semblable chez un adulte sera moins toléré, menant l’entourage à finalement prendre ses distances avec celui ou celle qui requiert tant d’attention. D’autres comportements du même style sont de vouloir que notre partenaire reste toujours en notre compagnie pour éviter la solitude, quitte à ce que cela entrave sa vie sociale, ou vérifier ses comptes sur les réseaux sociaux pour s’assurer que l’on est son seul centre d’intérêt. A terme, cela devient insupportable et la rupture qu’on essayait d’éviter se produit.
La colère
Les problèmes autour de la colère sont variés et organisés autour de deux pôles : colère trop exprimée ou colère trop réprimée. Les excès de colère sont assez aisés à cerner, car ils sont visibles et souvent identifiés comme inadaptés par notre entourage. La colère réprimée, au contraire, est plus insidieuse. Dans bien des situations et dans de nombreux foyers, la colère est une émotion interdite, ou alors une seule personne en est dépositaire dans la famille et s’en arroge l’usage exclusif. Les autres doivent l’enfouir le plus profondément possible. Mais une émotion n’est pas quelque chose que l’on peut choisir d’éprouver ou pas ; elle est là, point. Celle-ci a pour fonction de nous alerter sur le fait que nos limites ont été dépassées et de nous donner l’impulsion de changer la situation. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, quoi qu’on en pense, elle joue son rôle. Ne pas pouvoir y avoir recours est en soi un frein à notre sécurité, à notre santé et à notre bon développement.
Plusieurs choses peuvent se passer lorsque la colère affleure malgré tous les efforts pour l’ignorer. La personne pourra se sentir coupable de son sentiment et être renvoyée à la fausse culpabilité (ci-dessus) : « C’est de ma faute, à cause de ma colère, que les autres sont insatisfaits autour de moi ; je suis une mauvaise personne d’être fâché ». D’autres exutoires peuvent être utilisés, par exemple des comportements passifs-agressifs, qui pourront aller jusqu’à provoquer la colère de l’interlocuteur, de sorte à pouvoir dire « Tu vois, ce n’est pas moi qui suis en colère, c’est toi », et à maintenir les apparences. La colère peut aussi être retournée vers d’autres personnes, généralement plus faibles, qui n’ont rien à voir avec sa cause, de façon retardée, et aller jusqu’au harcèlement ou à la cruauté envers les animaux.
L’attirance pour le chaos et les comportements à risque
Lorsqu’une personne a été habituée à des environnements chaotiques ou des événements extrêmes, la stabilité peut lui sembler déroutante ; ce n’est pas la version de la normalité qu’elle connaît. Elle pourrait donc chercher à créer artificiellement du chaos ou se mettre en danger. De même, si elle a perdu le contact avec ses émotions et que donc elle ne ressent rien, elle pourrait en conclure que la vie est terriblement ennuyeuse et entreprendre des choses dangereuses pour enfin échapper à la monotonie. Enfin, en entretenant un chaos permanent, on n’a simplement pas le temps de penser. On est bien trop occupé à courir d’un problème à l’autre ou à tenter d’éviter la prochaine catastrophe. C’est une façon de fuir très semblable à l’abus de substances (qui est aussi potentiellement un comportement à risque).
Les attentes irréalistes
Pour rendre la vie plus tolérable, il est tenant d’idéaliser des situations, des personnes ou les attentes qu’on a d’elles. Si pour le coup on est réellement face à un problème, on risque alors de ne pas le voir avant qu’il ne soit trop tard, voire de créer soi-même des malentendus. La réalité nous rattrape toujours, mais plus notre idéal imaginé était élevé, plus la chute est rude. C’est le cas par exemple lorsque l’on met une personne sur un piédestal en pensant qu’elle est parfaite ; et puis elle commet une petite erreur et n’est plus en ligne avec ce que l’on voudrait qu’elle soit. Souvent, on se débarrassera purement et simplement de cette relation subitement devenue encombrante, et on recommencera avec quelqu’un d’autre, sans jamais connaître l’authenticité.
Dans le cas d’addictions, les attentes irréalistes peuvent être un frein à la guérison. Tim Fletcher rapporte que certains clients pensent que s’ils ont fait la démarche de consulter, ça y est, le plus dur est fait. Un claquement de doigt et ils seront guéris. C’est presque de la pensée magique. Parfois, les clients dans cette logique qui ont déjà fait quelques progrès se disent qu’ils vont naturellement entraîner leur entourage (traumatisé/traumatisant) dans la guérison, que tout le monde va vouloir suivre leur exemple, reconnaître ses propres problèmes et aller consulter ! Ils sont troublés que ce ne soit pas le cas ou même offusqués. Mais on ne peut évidemment forcer ce genre de décision…
Avoir des doubles standards est un autre exemple d’attentes irréalistes, comme le fait d’exiger une honnêteté totale des autres, mais de ne pas appliquer la réciproque. Enfin, certaines personnes peuvent se poser en victimes, avec raison puisqu’elles ont survécu à un trauma, mais penser que le monde leur doit quelque chose pour ce qu’elles ont enduré, jusqu’à agiter leur histoire somme un laisser-passer pour qu’on tolère à peu près tout et n’importe quoi vis-à-vis d’eux.
Recherche d’immédiateté
Si vous avez appris que d’un instant à l’autre tout peut être chamboulé dans votre monde, vous aurez probablement tendance à rechercher la gratification immédiate de vos besoins et envies. Il est inenvisageable d’attendre pour obtenir quelque chose, parce que entretemps il est possible que les circonstances changent et que l’on n’ait pas ce qu’on veut. Alors on peut faire des achats impulsifs ou faire des excès en tous genres.
L’impulsivité et l’impatience peuvent même se manifester dans des moments inattendus, comme par exemple le fait de vouloir des solutions instantanées à des problèmes complexes de longue durée. Tim Fletcher raconte par exemple que certains de ses clients n’hésitent pas à l’appeler à n’importe quelle heure s’ils sentent qu’ils ont besoin de lui, et qu’ils sont désarçonnés lorsque leur thérapeute leur dit que le moment n’est pas approprié et qu’ils doivent attendre le lendemain (du reste, cela fait partie de la thérapie de les aider à se rendre compte que dans ce laps de temps le ciel ne leur est pas tombé sur la tête). D’autres personnes s’attendent aussi à ressortir « guéries » d’une unique première séance de thérapie….
Le manque de persévérance est un corollaire de l’impatience. Généralement, les personnes dans cette dynamique seront de « bons commenceurs » mais de « mauvais finisseurs ». Les projets de longue haleine vont à l’encontre de la quête d’immédiateté et une fois que l’attrait de la nouveauté s’est dissipé, se motiver à poursuivre jusqu’au terme peut frôler l’impossible.
Difficulté avec l’autorité
Les situations traumatisantes étant régulièrement le fait de personnes en position d’autorité, les survivants peuvent avoir du mal à tolérer les relations hiérarchiques ou peuvent elles-mêmes abuser de leur statut envers d’autres personnes.
Par ailleurs, il arrive que se mette en place une défiance oppositionnelle. Celui ou celle qui fonctionne ainsi a un raisonnement du type « Je suis ma propre autorité, alors c’est moi qui décide ce que je fais ; je ne me laisserai donner d’ordre par personne, alors quoi qu’on me dise de faire, je ferai l’inverse ! ». Et ce même si l’inverse n’est pas dans son intérêt…
La perte ou le manque d’identité
Quels que soient les masques que l’on porte pour se protéger, au moment où on les enlève, il est fréquent de se trouver démuni et de ne pas savoir qui l’on est en réalité. Suite à un traumatisme complexe, nos stratégies de coping préférées se mettent en marche pour un oui ou pour un non. Ce que nous faisons est alors destiné uniquement à nous protéger d’un danger anticipé. Ces comportements automatiques prennent en quelque sorte la place de notre identité. Nos mécanismes de défense sont de l’ordre du réflexe, alors nous n’avons souvent même pas le temps de nous demander rationnellement ce que nous voulons, ce que nous aimons ou quelles sont nos valeurs.
Par ailleurs, nos émotions ont parfois dû être réprimées de façon constante parce qu’elles étaient perçues comme inacceptable. Si l’on ne connaît ni la joie, ni la colère, ni la peur, ni la tristesse, ni la surprise, ni le dégoût, comment connaît-on ses propres préférences, ce qui nous attire ou ce qui nous rebute ? Dans le cas de traumatismes développementaux, la « croissance » émotionnelle est parfois interrompue à un jeune âge. Cela explique d’ailleurs que certains adultes se comportent en vrais enfants lorsque quelque chose ne tourne pas comme ils le souhaitent.
Dans le cas du people-pleasing (voir plus haut), on s’approprie les besoins et les envies de la personne à satisfaire jusqu’à oublier les nôtres ou ne jamais nous demander quels ils sont. C’est une autre façon de passer à côté de soi-même.
C’est un bon point pour terminer cette énumération, car il y a un grand espoir qui émerge de ce dernier paragraphe : lorsque l’on peut enfin entreprendre la guérison du traumatisme, de vastes pans de nous-mêmes sont à (ré)inventer. C’est pourquoi nous pouvons devenir de meilleures versions de nous-mêmes. Ce qui aura précédé sera peut-être encore douloureux, mais ne sera pas qu’un énorme gâchis ; notre passé, même traumatisé, peut toujours être un tremplin vers notre avenir !
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Sources :
- Série d’interventions de Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) sur le Complex trauma
- « Le corps n’oublie rien – Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », livre de Bessel van der Kolk, expert sur le SSPT
- « Complex PTSD: From Surviving to Thriving”, livre de Pete Walker, thérapeute spécialisé dans les traumatismes complexes et les strategies de coping
- « Le Drame de l’Enfant Doué », livre d’Alice Miller, psychologue (NB : ici, « doué » n’est pas à prendre dans le sens HP, mais plutôt dans le sens « sensible »)