Le coping face au traumatisme complexe ou développemental
Pour les traumatismes complexes comme pour d’autres troubles, ce sont les symptômes qui trahissent le mal ; mais encore faut-il pouvoir les reconnaître. Ce n’est pas évident. Certains d’entre eux peuvent prendre l’aspect d’un trait de caractère plutôt innocent. En fait, ils peuvent même former un ensemble entier et cohérent de comportements, jusqu’à être interprétés par notre entourage et nous-mêmes comme notre « personnalité ». Rappelons que d’après Dabrowski, une personnalité s’acquiert volontairement ; ici cependant, rien de volontaire, seulement le reliquat d’une stratégie de défense qui a été trop souvent nécessaire.
Dans cet article, je vous propose de creuser un peu plus avant ces stratégies, dites de coping (ou « faire face »). D’autres articles reviendront sur les nombreux signes du trauma et sur les outils de guérison.
Le coping
En réponse à un traumatisme développemental, deux priorités apparaissent : éviter de souffrir et cacher sa véritable identité pour ne pas être rejeté. Pour atteindre ces objectifs, quatre stratégies existent : la lutte, la fuite, l’immobilisation et la soumission (connues en anglais en tant que « 4F : fight, flight, freeze, fawn »).
Ces réactions sont en fait très anciennes et carrément encodées dans notre physiologie (nous le verrons plus en détails qu’ici dans un article sur la théorie polyvagale). L’immobilisation aurait été la première à apparaître et est la réponse proposée par la branche vagale dorsale de notre système nerveux parasympathique. La lutte et la fuite sont quant à elles un produit de notre système sympathique, qui se serait développé plus tardivement. Un troisième réseau, dernière nouveauté en date, existe : celui de l’engagement social (vagal ventral « &Co »). Habituellement, ce dernier nous permet de nous sentir en sécurité et d’appartenir à une communauté. Mais c’est également lorsque ses besoins ne sont pas satisfaits que peut se construire un traumatisme développemental. Notre corps (car ça ne se passe pas que « dans la tête ») régresse alors vers des états plus anciens, d’abord la lutte et la fuite et ensuite l’immobilisation si le mécanisme précédent n’a pas abouti. La soumission (fawning) est quant à elle une stratégie hybride qui ferait appel à l’ensemble des systèmes.
Lors d’événements potentiellement traumatisants, ces stratégies somme toute automatiques font un excellent travail en nous protégeant. Elles sont donc tout à fait appropriées. Mais lorsque l’on doit y recourir trop souvent, que le traumatisme s’est effectivement installé, elles finissent par être le seul mode de réaction que nous connaissons. Et pour éviter de souffrir ou d’être rejetés, nous les utilisons de façon constante. En réalité, nous utilisons l’une d’elles de façon prépondérante, celle qui nous a le mieux servi. Mais cela signifie que l’on devient moins capable d’utiliser les trois autres à bon escient et de se relaxer dans un état non-défensif. On ne s’en rend pas compte ; c’est pourquoi le trauma et ses réponses survivent à l’âge adulte, alors que d’autres réactions aux situations nous seraient pourtant désormais possibles.
Il est à noter que les réseaux nerveux en cause ici fonctionnent tels des réflexes, c’est-à-dire extrêmement rapidement, et en tout cas plus rapidement qu’une information n’arrive au cortex frontal pour y être analysée rationnellement. C’est ainsi qu’au plus petit signe de danger notre mode de fonctionnement par défaut se met en marche. Pour sortir du cycle il sera nécessaire d’examiner ses propres comportements à tête reposée, en dehors de tout stress, pour éventuellement trouver d’autres façons plus appropriées de réagir (on en reparlera dans un article sur la guérison du trauma).
Les 4 stratégies
Comment se manifestent de manière générale les stratégies de coping dans la vie de tous les jours à l’âge adulte ? Penchons-nous brièvement sur chacune d’elles (selon le livre « C-PTSD : From Surviving to Thriving » de Pete Walker).
La lutte (fight)
Les personnes caractérisées par la stratégie de lutte sont inconsciemment convaincues que le pouvoir et le contrôle peuvent créer la sécurité, éviter l’abandon et s’assurer de l’amour des siens. Elles répondent aux menaces perçues par de la colère ou du mépris et peuvent ainsi contraindre ceux autour d’elles à satisfaire leurs besoins grâce à l’intimidation ou en provoquant un sentiment de honte. Parfois, cela se manifeste par le fait qu’elles préfèrent blesser autrui avant d’être potentiellement blessés elles-mêmes. Cependant elles peuvent avoir des remords par rapport à leur comportement, s’en vouloir à elles-mêmes et finalement s’enfoncer plus encore dans la spirale du trauma. Ce type de traumatisés (insistons sur le fait qu’ils ne font pas vraiment exprès, même si leur comportement est inapproprié) peut s’avérer particulièrement dangereux pour des personnes dont le mode de fonctionnement est l’immobilisation ou la soumission.
La fuite (flight)
La personne en fuite est toujours en mouvement, que ce soit au niveau physique ou mental. Elle pense que seule la perfection est à même de lui assurer sécurité et amour. Dans des cas extrêmes, cela peut donner lieu à des comportements tels que des troubles obsessionnels compulsifs ou des formes d’hyperactivité ; lorsque l’on n’est pas en train d’agir, on réfléchit et on programme ce que l’on fera. Plus habituellement, la fuite se manifeste par la poursuite de divers objectifs dont l’atteinte n’est jamais suffisamment satisfaisante : progression professionnelle, beauté, consommation, loisirs, distractions, abus de substances, multiplication de relations amoureuses brèves… Elle peut aussi être littérale, dans le cas de fugues, de personnes qui s’échappent de relations dès qu’elles deviennent intimes, ou de gens qui s’isolent complètement du monde, en se réfugiant dans leur imaginaire ou en quittant la civilisation.
L’immobilisation (freeze)
L’immobilisation montre une croyance dans le fait que « les autres » et « danger » sont synonymes. Elle n’est généralement pas physique (même si elle peut l’être dans des cas extrêmes de traumatismes) ; il s’agira plutôt d’une sorte de gel émotionnel, en tout cas pour toutes les émotions qui ne sont pas reconnues comme positives, donc perçues comme dangereuses. On peut alors se désintéresser de tout ; si on s’en fiche, on ne souffrira pas. Certains se réfugient dans le sommeil ou évitent les contacts sociaux. Le recours à des substances permet également d’inhiber les émotions, comme dans la fuite. L’anxiété sociale est commune à toutes les stratégies mais peut être exacerbée chez les personnes empêtrées dans celle-ci. Il faut rappeler que l’immobilisation est la stratégie de dernier recours, lorsque les autres n’ont pas fonctionné, et que par conséquent on s’est senti tout particulièrement impuissant à échapper aux événements traumatisants.
La soumission (fawn)
Une bonne analogie pour la réponse de soumission est celle des loups de position inférieure qui reviennent à la tanière, auprès des dominants, avec les oreilles en arrière, tout prêts à s’aplatir sur le sol et remuant la queue. Il faut sembler agréable à celui ou celle en position de force. Dans la réponse de soumission, les personnes recherchent la sécurité en faisant leurs les souhaits, besoins et exigences des autres. Elles agissent comme si elles pensaient que le prix de l’acceptation dans une relation était d’ignorer leurs propres besoins, droits, préférences et limites. Souvent, elles se retrouvent dans une relation de codépendance et leur conscience d’elles-mêmes tend à être sous-développée ; sorties de la relation où elles existent par l’autre, elles ne savent pas bien qui elles sont.
Les hybrides
Peu de types sont 100% purs et chaque réponse est un continuum qui va du moins au plus intense. S’il est optimal de pouvoir compter sur les quatre stratégies à bon escient, disposer d’au moins une seconde ligne de conduite peut être perçu comme utile. Il y a ainsi par exemple des personnes en stratégie de soumission qui, une fois épuisé tout ce qu’elles pouvaient faire d’agréable, deviennent agressives pour exiger l’affection qu’elles souhaitent (soumission/lutte), ou qui s’écroulent en larmes et se démobilisent (soumission/immobilisation).
Toutes les stratégies, pures ou hybrides, restent relativement inadéquates par rapport à une réponse optimale, mais il est important de ne pas oublier que notre système nerveux fait ce qu’il peut pour nous protéger, et qu’à un moment de notre vie il n’y avait rien d’autre à faire. Des thérapies et outils spécifiques permettent de (re)trouver un fonctionnement optimal, et d’une certaine façon, il y a du bon à cela : en examinant en profondeur ses mécanismes automatiques et en les remplaçant par des réponses consciemment choisies, il est non seulement possible de devenir une meilleure version de soi-même, mais également d’interrompre la passation des traumatismes de génération en génération. Une grande partie du temps, les traumatismes développementaux sont transmis par des parents non-conscients de leurs propres problèmes.
Les comportements qui découlent des diverses versions du coping, et ne sont donc pas optimaux, sont nombreux et passent relativement inaperçus. Cela sera l’objet d’un prochain article.
Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.
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Sources :
- Série d’interventions de Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) sur le Complex trauma
- Site du Dr Arielle Schwartz
- « Le corps n’oublie rien – Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », livre de Bessel van der Kolk, expert sur le SSPT
- « Complex PTSD: From Surviving to Thriving”, livre de Pete Walker, thérapeute spécialisé dans les traumatismes complexes et les strategies de coping
- « Le Drame de l’Enfant Doué », livre d’Alice Miller, psychologue (NB : ici, « doué » n’est pas à prendre dans le sens HP, mais plutôt dans le sens « sensible »)