Le traumatisme complexe, subtil supplice des 1000 coupures
Traumatisme complexe, état de stress post-traumatique complexe, psychotrauma complexe… C’est un sujet plutôt difficile à circonvenir. Car ces termes s’appliquent à des phénomènes qui varient énormément en magnitude, mais aussi en subtilité. Ils qualifient le résultat autant des pires maltraitances et négligences que de petites blessures, administrées bien involontairement, et dont personne ne se rend compte, pas même celui ou celle qui en souffre, du moins jusqu’au jour où il ou elle découvre enfin d’où viennent ces liens qui le ou la retiennent. C’est de cette dernière forme que je voudrais vous parler.
C’est bien compréhensible d’être dubitatif sur ce thème. Il peut se passer plusieurs mois entre le moment où on y est sensibilisé et le moment où l’on saisit réellement ce dont il s’agit, et encore un laps de temps similaire avant de s’interroger sur son propre passé. Après tout, si on ne vous a pas battu, violemment agressé physiquement ou verbalement et si vous avez eu à peu près tout ce qu’il vous fallait dans votre enfance, comment diable pourriez-vous être traumatisé ? Et quand on voit toutes les atrocités qui se passent dans le monde, ce serait bien égoïste de s’apitoyer sur son sort. D’ailleurs, si l’on ne sait pas que d’une manière ou d’une autre on a été blessé, ne vaudrait-il pas mieux laisser tout cela enfoui profondément ? Et bien non, cela n’aide personne d’ignorer cette part de soi-même, et pire encore cela peut vous empêcher de devenir une personne meilleure, qui créera des relations vraiment positives avec les autres.
Pour bien comprendre de quoi l’on parle, nous allons adopter une démarche en entonnoir en évoquant les autres types de traumatismes pour déterminer comment ceux qui nous occupent se positionnent par rapport à l’ensemble. Ensuite, nous verrons que tout le monde ne présente pas la même prédisposition aux traumas complexes. La sensibilité (un terme qui n’a rien de négatif ou de péjoratif), voire l’hyperstimulabilité émotionnelle, peuvent jouer un rôle. D’autres articles reviendront sur les stratégies de coping, les symptômes et caractéristiques des traumatismes complexes, ainsi que sur la façon d’en guérir (notamment théorie polyvagale).
Le panorama des traumas
Syndrome de stress post-traumatique
Nous avons tous entendu parler des vétérans de guerres, celles du Vietnam ou d’Irak, ou des survivants d’attentats qui développent des syndromes (ou états) de stress post-traumatiques (SSPT ou ESPT ; psychotrauma en est un synonyme). C’est un trouble psychologique très invalidant, caractérisé notamment par des flashbacks, épisodes au cours desquels un stimulus évocateur ramène les personnes dans la situation terrible qu’elles ont vécue. Le traitement de leur mémoire à ce sujet a été perturbé, car la mémoire émotionnelle et celle des faits ne sont pas stockées dans les mêmes structures et la communication entre elles concernant cet événement précis a été interrompue. Leur cerveau est donc désormais incapable de reconnaître qu’il s’agit d’un souvenir et revit la scène comme si elle se passait ici et maintenant. Le survivant reçoit toutes les blessures psychologiques à nouveau, se sent de nouveau impuissant à empêcher ce qui lui arrive, les mêmes processus physiologiques se déclenchent, inondant son organismes d’hormones de stress, et ainsi le traumatisme se perpétue de lui-même. C’est une spirale infernale. Bien sûr, d’autres manifestations psychologiques complètent le tableau, telles qu’anxiété, irritabilité, dépression, dépendances à des substances, etc.
Généralement, le SSPT résulte d’une menace physique directe pour soi ou autrui (agression, accident, viol, …). En temps normal, face à un danger, notre système nerveux essaye d’abord de nous pousser à l’action, avec les fameuses réponses de lutte ou de fuite. En attaquant le premier l’agresseur, on peut éviter qu’il nous fasse du mal, et s’il est évident qu’on n’aura pas le dessus, ou qu’il s’agit plutôt d’une situation où un accident est imminent, on préfère prendre la poudre d’escampette. Si les deux premières ne fonctionnent pas, il y a également la réponse d’immobilisation, qui parfois peut également nous préserver de la catastrophe. Mais en cas de SSPT, il n’a pas été possible d’éviter le drame. Qu’on en ait été la victime ou le témoin, on a dû subir les événements avec horreur et en étant impuissant face à eux. C’est cela qui est insupportable pour le cerveau et le bloque en quelque sorte soit dans un état d’hypervigilance ou au contraire de dépersonnalisation (le cerveau s’est alors « éteint » le temps que cela se passe et le sujet n’a rien ressenti, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas moralement blessé), ce qui perturbe son fonctionnement durablement.
SSPT complexe et traumatisme développemental
Le SSPT se rapporte à un événement isolé ou à une brève période dangereuse de la vie. Mais il arrive que les faits traumatisants soient étalés sur de longues périodes. Dans ce cas, il se peut que ces faits soient moins directement menaçants pour la vie ou l’intégrité physique de la personne. Cependant, comme ils se répètent, leur effet traumatisant finit par être tout à fait similaire. Historiquement, les phénomènes liés à un événement unique et ceux liés à des événements au long cours étaient étudiés séparément, jusqu’à ce que le fonctionnement cérébral soit étudié et que les chercheurs se rendent compte qu’il s’agissait en fait d’une même pathologie, simplement déclinée selon plusieurs modalités. C’est ainsi que l’adjectif complexe a été ajouté dans le second cas.
Le SSPT complexe peut survenir à tout âge. L’élément clé est de nouveau d’être contraint de subir les événements sans pouvoir se défendre ou fuir. On peut penser notamment aux personnes dans des situations abusives, des conjoints battus ou harcelés moralement qui ne peuvent se libérer de leurs bourreaux de crainte d’être à la rue ou encore de ne plus revoir leurs enfants, ou aux esclaves modernes. Cependant les adultes ont la plupart du temps l’avantage d’être à peu près autonomes ou de pouvoir trouver de l’aide, alors qu’en ce qui concerne les enfants, c’est une autre histoire. Dans la prime enfance, on est de facto dépendant de ses parents ; on ne peut fuir (pour aller où ?) et on ne peut se défendre (un petit corps a moins de force qu’un grand). De plus, on a besoin de sa famille d’un point de vue émotionnel bien plus qu’à n’importe quelle période de la vie. Un enfant est donc essentiellement captif et particulièrement vulnérable aux situations traumatisantes, d’autant que ses structures cérébrales n’ont pas fini de se construire. Dans ce cas, on peut parler de traumatisme développemental.
Pour évaluer les traumatismes infantiles au long cours, il existe une échelle qui mesure les « Expériences Négatives de l’Enfance » (« Adverse Childhood Experiences » en anglais, ou ACE). Ces éléments sont classés selon trois catégories, qui renferment les événements traumatisants :
- Les abus : ils peuvent être physiques, émotionnels ou sexuels ;
- Les négligences : ici aussi, physiques ou émotionnelles ;
- Les foyers dysfonctionnels : maladie mentale d’un parent, incarcération d’un membre de la famille, parent maltraité, abus de substances et divorce tumultueux.
On pourrait ajouter à la liste des problématiques telles que le harcèlement scolaire, ou des situations de conflit armé, même s’ils ne se déroulent pas dans le huis clos familial. L’enfant qui grandit dans ces circonstances doit être sur ses gardes de façon permanente. C’est pourquoi son niveau de stress est très élevé et que l’empreinte laissée sur son cerveau est semblable à celle des survivants souffrant de SSPT (« simple »).
En plus des trois réponses face au danger citées précédemment (lutte, fuite, immobilisation), les personnes concernées par les traumatismes complexes ont à leur disposition une quatrième stratégie : la soumission (« fawning » en anglais). Les situations dangereuses proviennent essentiellement de membres de la famille et souvent on peut les voir se profiler à l’horizon. Dès lors, on peut toujours essayer d’amadouer le tortionnaire domestique, en lui offrant quelque chose pour qu’il nous laisse tranquille, pour satisfaire un de ses besoins à lui. Le petit qui sait rien qu’au bruit des clés dans la serrure que son père revient ivre et que cela risque de mal se passer va tout tenter pour se prémunir, être bien sage, discret, ne pas embêter papa, lui apporter ses pantoufles, et peut-être que cette fois la crise sera évitée. Ou l’épouse d’un mari violent se dépréciera elle-même devant lui pour éviter les coups.
Et si a priori rien de tout cela n’est arrivé, peut-on souffrir d’un traumatisme complexe ?
Hélas, il est tout à fait possible de souffrir d’un traumatisme complexe même si rien de si terrible n’est arrivé. Le Dr Arielle Schwartz définit le trauma comme « tout ce qui n’a pu être traité ou intégré par le système nerveux » sur le moment, peu en importe la nature. Les abus peuvent être très subtils et d’ailleurs involontaires, ce qui fait que de très braves gens, des parents qui ont fait de leur mieux, peuvent avoir infligé un traumatisme à leurs proches sans en avoir conscience. Il y a vraisemblablement une gradation dans les souffrances liées aux traumas, et arrivés à l’âge adulte, des enfants victimes d’un traumatisme développemental moins violent fonctionneront parfois relativement bien, mais néanmoins leur conduite sera dans de nombreuses situations dictée par une stratégie d’évitement du danger (lutte, fuite, immobilisation, soumission).
Pour avoir une idée des situations qui peuvent aboutir à un traumatisme, imaginons les exemples suivants :
- Un parent qui ne crie jamais, n’a jamais levé la main sur qui que ce soit, et pourtant il n’y a aucune possibilité de le contredire ou de faire entendre le son de sa voix, ou alors… On ne sait même pas bien ce qu’est ce « ou alors ». Cela peut être qu’il risque d’être tellement déçu par rapport au bambin que pendant tout un temps la relation sera altérée, que le parent ignorera le petit (le « traitement silencieux »), ou que le gamin est persuadé qu’on l’aimera moins.
- La négligence, cela ne donne pas nécessairement un bébé crasseux ou un parent qui s’abrutit devant la télé et ne prête aucune attention à sa progéniture. Des fois, cela peut se faire avec des bambins en beaux vêtements de marque et avec le dernier smartphone à la main. Mais papa et maman sont tellement occupés au travail qu’ils ne sont jamais là pour eux. Il y a bien la nounou, mais elle change tous les six mois, alors…
- Les maladies mentales, ce n’est pas que la schizophrénie, les troubles bipolaires ou les dédoublements de personnalité qui ont des manifestations effrayantes et incompréhensibles. La dépression ou le burnout touchent énormément de gens, et la question se pose de savoir s’ils sont normalement disponibles physiquement (à cause de la fatigue, des médicaments,…) ou émotionnellement pour leurs enfants. Pareil pour une maladie physique de longue durée.
- Déjà entendu parler des enfants adoptés (même par des parents formidables) et qui développent des problèmes psychologiques ? Ben voilà. Même s’ils n’ont pas de souvenir de leur abandon, cela peut être gravé quelque part en eux.
- Si à 5 ou 6 ans à peine un gamin a déjà vécu le deuil de sa grand-mère et d’un oncle, que le chat du voisin qu’il aimait bien s’est fait écraser dans sa rue et qu’en plus son poisson rouge vient de mourir, ça peut vraisemblablement faire un peu beaucoup pour lui. Comment sait-il qu’un beau jour il ne va pas se retrouver tout seul parce que tous ceux qu’il aime vont mourir ? Il est terrifié ! Et personne ne lui demande comment il va, parce « qu’à cet âge-là, on ne se rend pas compte, hein ? ».
- A chaque fois que cette petite rentre de l’école avec son bulletin de notes, elle est anxieuse ; comme d’habitude elle a eu 10/10 partout sauf dans une seule matière où elle a eu 9. Et c’est tout ce dont on va lui parler. Alors elle se demande comment elle va bien faire pour être assez parfaite, parce qu’apparemment c’est grave de ne pas avoir que des notes maximales. C’est qu’elle n’est pas quelqu’un d’assez bien et qu’en fait elle est bête, se dit-elle.
De manière générale, il suffit que les besoins d’un petit ne soient pas suffisamment honorés pour qu’il ait des doutes sur sa valeur et sur le fait de pouvoir être aimé. Cela peut le poursuivre toute sa vie. Un enfant a besoin de sécurité, et cela ne signifie pas seulement d’avoir un toit sur la tête et d’être préservé des tigres à dents de sabre ; cela englobe également le respect et l’acceptation. Du coup imaginez les ravages d’un petit « Si seulement tu pouvais être plus comme ta sœur… » répété tous les quelques jours. Il doit recevoir de la validation de façon appropriée et ne pas être trop critiqué. C’est aussi bien mieux qu’il sache qu’il sera traité avec constance, qu’un jour on ne sera pas gentil avec lui et brutal le lendemain ; de même, il doit y avoir des règles et les conséquences doivent toujours être les mêmes si on les enfreint. C’est une question de justice (et de justesse). Il a besoin de pouvoir être honnête et de se confier à quelqu’un sans peur qu’on se moque de lui ou qu’on l’envoie balader, sans quoi il ne recevra probablement pas d’indications sur comment gérer sa tristesse, sa colère, ses peurs (en réalité ce serait effectivement de la négligence émotionnelle). S’il les garde sans fin pour lui sans savoir qu’en faire, cela fait des dégâts, parce qu’il se dira qu’il n’intéresse personne, que tout le monde s’en fiche.
Si un petit ne se sent pas aimé, validé et valorisé, il ne remettra pas en cause la façon dont ses parents le traitent. Il se dira en premier lieu que c’est lui qui est inadéquat, qui n’est pas assez bon, pas assez gentil, pas assez intelligent, pas assez indépendant, etc. Pour lui c’est de sa faute. Alors il fait tout pour plaire à ses aînés et recevoir ce dont il a besoin. Et vu qu’un enfant construit sa perception de lui-même en grande partie au travers du regard de sa famille, de l’image de lui-même qui lui est renvoyée, il peut développer une vision déformée de la réalité – sa réalité. Un des traits caractéristiques du traumatisme développemental est la honte de soi. On n’est pas intrinsèquement acceptable, alors on met des masques, on s’isole ou on construit des murs, n’importe quoi pour qu’on ne voie pas notre vraie identité. « S’ils savaient qui je suis vraiment, ils me laisseraient tomber et c’est normal. Qui voudrait de quelqu’un comme moi ? » En d’autres termes, on n’attend même plus d’être dans une situation de souffrance morale, ni même de la voir au loin ; on construit un faux soi pour ne même plus risquer de percevoir ce danger.
J’ajouterais qu’un parent traumatisé, même s’il semble fort bien fonctionner à l’âge adulte, risque d’être traumatisant pour ses enfants. Il aura été lui-même carencé dans certains domaines et aura potentiellement développé des mécanismes d’auto-défense inconscients qui l’empêchent d’interagir sainement avec sa progéniture. Oui, le traumatisme complexe peut devenir « contagieux ». On peut alors parler de traumatisme intergénérationnel. Ce dernier peut être subtil (et ne concerne pas que les gros secrets de famille honteux du genre « Pépé était un serial killer, mais chut ! »). Vu qu’il n’y a pas de « coupable » dans ces histoires, il est particulièrement difficile d’admettre qu’on a reçu un traumatisme en héritage, car cela reviendrait à blâmer des parents qui ont fait de leur mieux et parfois même plus. Il y a une dose de colère qu’il faut accepter dans le traitement du traumatisme développemental, mais cela ne veut pas dire qu’on doit en vouloir à nos familles. La colère est dirigée contre ce qui s’est produit, mais pas contre les personnes ; c’est une différence fondamentale.
Il n’y a vraiment rien de flagrant dans l’installation du traumatisme développemental, ce qui le rend particulièrement insidieux. Vu de l’extérieur, la famille où cela se passe peut carrément avoir l’air exemplaire, soudée, heureuse et on ne peut absolument pas dire que vu de l’intérieur c’est l’inverse qui est vrai. Il y a juste une dynamique pas très saine et imperceptible. Chacune des blessures passe inaperçue pour toutes les parties concernées. C’est pour cela que je l’appelle « supplice des 1000 coupures » (de grâce, si vous êtes sensibles, ne cherchez pas sur Internet de quoi il s’agissait historiquement parlant, considérez seulement la métaphore qui suit). Imaginez que vous vous coupez avec une feuille de papier. Ça pique un peu ou alors on ne s’en rend même pas compte jusqu’à ce qu’on presse un citron, ça ne saigne presque pas et en tout cas ce n’est pas dangereux. Mais disons que vous êtes un archiviste dans le service public et qu’à cause des coupes de budget on ne vous a pas fourni de gants, de sorte qu’à la fin de votre semaine de travail vous vous êtes fait 1000 de ces coupures ; ce n’est plus aussi innocent. En plus, à mesure que les blessures s’accumulent, on devient maladroit et on s’en fait de plus en plus. L’inflammation finit par s’accumuler et la douleur par se faire sentir. Mais vous avez besoin de ce job, alors vous restez, et vous y retournez semaine après semaine. Et un beau jour, ce n’est plus de la peau, mais de la corne que vous avez sur les mains. C’est bien pratique pour supporter cet endroit. Mais désormais, papier de verre ou soie, cela devient égal pour vous. Dommage, comme c’est morne… Tant pis, maintenant vous êtes bien (mal) ajusté à votre situation.
Facteurs prédisposant au traumatisme complexe ou développemental
Le trauma se trouve en quelque sorte au carrefour de quatre composantes : la gravité des faits traumatisants, leur fréquence, le degré d’impuissance et la sensibilité de la personne. On l’a dit, plus on est jeune et plus on est impuissant, puisque l’on dépend de ses parents en tout. Par ailleurs, on n’a aucune notion de ce qui est « normal » ou non, approprié ou non, dans la façon dont on nous traite. L’impuissance varie donc en fonction de l’âge.
Par ailleurs, plus on est sensible, plus quelque chose qui pourrait passer inaperçu pour quelqu’un d’autre peut être impactant. C’est le cas autant en termes d’intensité que de diversité. Un même événement qui aurait troublé n’importe qui peut laisser une trace plus ou moins sévère et à terme participer au traumatisme ou pas. Par ailleurs, un fait absolument non remarquable pour certains sera choquant pour d’autres qui sont plus sensibles. Par exemple, le petit garçon de 5 ou 6 ans pris en exemple plus haut qui avait été confronté à plusieurs pertes dans sa vie peut être traumatisé un peu plus à chaque fois qu’il voit un reportage sur les naufrages de migrants en Méditerranée. Cela peut le toucher directement alors qu’un autre enfant soit ne comprendra pas ce qui s’est passé ou ne se sentira pas concerné. Le stimulus peut être perçu comme plus fort, mais la réponse qui y est donnée peut elle aussi être plus forte.
Dans la communauté des personnes à haut potentiel, il semble qu’il y a une susceptibilité particulière au trauma (attention, ce n’est pas une statistique officielle, je n’ai pas de source pour cela, mais c’est un sentiment personnel). A côté de l’aspect intellectuel de la douance, on fait appel à des concepts complémentaires pour tenter d’expliquer le côté émotionnel exacerbé que ces personnes reconnaissent en elles-mêmes. On parle ainsi d’intelligence émotionnelle, d’hypersensibilité ou d’hyperstimulabilité (comme dans le cadre de la théorie de Dabrowski). Dans tous les cas, cela a trait d’une manière ou d’une autre à une certaine sensibilité. Et il y a un facteur complémentaire dans le cas des HP : ils évoquent souvent ce certain sentiment de décalage tout au long de leur vie, et également dans l’enfance. Et si l’on est plus difficile à comprendre pour son entourage (parents, camarades d’école, professeurs), quel est l’accroissement de probabilité que l’on se sente bizarre, inadéquat, pas comme on voudrait qu’on soit, trop ou pas assez ceci ou cela ? Et si l’on a des besoins plutôt atypiques, aura-t-on la même chance de les voir satisfaire par notre famille et les autres personnes autour de nous ? En tout cas, la question est posée et on y reviendra (car il existe une chose telle que le « gifted trauma »).
Il y a encore tellement de choses à dire sur ces sujets, sur les symptômes du traumatisme complexe, les stratégies de coping et comment en guérir (notamment la théorie polyvagale). Mais ce sera pour une prochaine fois !
Métacosme est un blog dont le but est de mettre à disposition des lecteurs francophones des informations de cheminement personnel et un éclairage psychologique et philosophique original.
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Sources :
- Série d’interventions de Tim Fletcher (organisation Finding Freedom) sur le Complex trauma
- Site du Dr Arielle Schwartz
- « Le corps n’oublie rien – Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », livre de Bessel van der Kolk, expert sur le SSPT
- « Complex PTSD: From Surviving to Thriving », livre de Pete Walker, thérapeute spécialisé dans les traumatismes complexes et les strategies de coping
- « Le Drame de l’Enfant Doué », livre d’Alice Miller, psychologue (NB : ici, « doué » n’est pas à prendre dans le sens HP, mais plutôt dans le sens « sensible »)
« La colère est dirigée contre ce qui s’est produit, mais pas contre les personnes ; c’est une différence fondamentale. »
Je ne suis pas d’accord avec cette phrase, car cette phrase sous-tend que les parents sont eux-mêmes conscients et désolés du mal qu’ils vous ont fait subir (que ce soit émotionnel et/ou physiques). Votre affirmation ne fonctionnerait que si les parents reconnaissaient devant leurs enfants leurs comportements « toxiques », dans ce cas oui on peut diriger la colère simplement vers l’événement.
Cependant, si à l’âge adulte, les parents continuent à « gaslighter » leur progéniture maintenant adultes et conscients de leurs traumas/négligence émotionnelle subie dans l’enfance, en NIANT toujours qu’ils ne sont pas coupables.
En osant MÊME sous-entendre que l’enfant serait devenu distant, hyper-réactif (vous savez quand vous avez l’impression qu’on vous dérange, aimez rester seul isolé dans la chambre même en « famille »), comme ça « par hasard »…
La colère envers les parents immatures est totalement justifiée face à un tel déni (oser vous faire croire que c’est vous le problème et pas eux) de leur part juste pour protéger leur faible ego, sans s’en excuser convenablement.
Le fait même que le parent puisse inverser les rôles (croire que c’est sa progéniture qui devrait savoir les choses de façon innée et correcte et qui devrait s’excuser… La progéniture devient soudainement la figure parentale avec un bagage émotionnel de 80 ans) est encore plus incroyable.
Bonjour,
Merci pour vos divers commentaires et vos encouragements. Cela fait toujours plaisir. De nouveaux articles sont en gestation (ainsi que des précisions dans ceux qui existent, car je continue d’apprendre).
Je réponds en particulier à ce commentaire-ci, puisqu’il y a matière à discussion.
Le sujet de la colère est traité plus largement dans l’article « Grieving & Reparenting – Le Deuil du Passé Idéal ». Peut-être vous intéressera-t-il et répondra-t-il à certaines de vos remarques.
Mon expérience personnelle ainsi que les témoignages dans les livres dont je m’inspire me poussent à croire que la colère dirigée vers les personnes plutôt que les événements est potentiellement plus délétère que salutaire. La plupart du temps, et pour diverses raisons, les parents ne se rendent absolument pas compte de l’impact qu’ils ont eu et dans la grande majorité des cas, ils ont fait de leur mieux, mais (très) maladroitement. Tous les événements qui ont eu un impact négatif durable sur nous sont des non-événements pour les parents; souvent si on leur en parle, ils ne s’en souviennent absolument pas, ou en ont un souvenir tout à fait différent du nôtre. Pour pouvoir reconnaître leurs erreurs, il faudrait qu’ils entament un processus de guérison eux-mêmes et faire face à leurs propres traumatismes. Toutefois, on ne peut pas les y forcer, même si l’on estime devoir obtenir une excuse ou une réparation; cela peut se produire ou non mais ce n’est pas de notre ressort et ce n’est pas notre prérogative.
Dans ces circonstances, la colère dirigée vers les personnes (et donc dans le présent) peut devenir un cercle vicieux, car c’est un dialogue de sourds, qui peut envenimer encore plus la relation, et surtout cette colère qui n’aura probablement pas d’échappatoire devient toxique pour la personne qui la ressent. Cela devient une rumination de plus.
Il arrive effectivement souvent que les parents continuent leur comportement avec leurs enfants adultes (et cela est logique puisqu’ils ne peuvent voir en quoi c’est problématique). C’est là qu’interviennent les frontières personnelles que l’on peut développer lors de la guérison. Avec de saines frontières, le parent peut dire tout ce qu’il/elle veut, avoir une vison révisionniste du passé, continuer d’être toxique, mais cela coulera en quelque sorte sur nous. Et si la situation est réellement abusive, les frontières personnelles nous autorisent à prendre la distance nécessaire avec la famille (physiquement ou en esprit) et nous fournissent les ressources nécessaires. Et les frontières permettent aussi de s’affirmer à soi-même « Peu importe que mon parent réfute mes accusations, moi je sais comment je l’ai vécu; je n’ai pas besoin qu’il/elle reconnaisse les faits passés ou présents pour avancer car je n’ai pas besoin de confirmation externe à mes sentiments ». Et même si le parent reconnaissait sa responsabilité, le travail de reconstruction resterait le même. Dès lors l’investissement en énergie à essayer d’expliquer, de convaincre, d’obtenir des excuses etc est bien supérieur au bénéfice qui en découlera.
Ce n’est pas idéal, bien sûr. Toutefois attendre que les autres changent pour pouvoir aller mieux soi-même risque de reporter à perpétuité la guérison. On ne peut pas se baser là-dessus. Et dans certains cas, une fois les bonnes frontières établies, l’estime de soi consolidée, une certaine guérison atteinte, la relation peut repartir sur des bases apaisées, même si elles sont légèrement différentes.
J’espère que vous trouverez tous les types de ressources dont vous avez besoin dans votre cheminement. Et s’il ne fait que commencer, patience, cela peut prendre des années (même si je sais qu’on ne pense pas cela acceptable en s’engageant sur le chemin).
Bonne continuation,
Isabelle
Bonjour,
Merci pour votre commentaire.
Oui j’avais supprimé la fin de mon message (je m’étais inhibée car j’avais l’impression de trop parler. En gros je me suis jugée et j’ai tronqué la fin de mon message).
Dans la fin de mon message, j’écrirais qu’heureusement que je suis à un stade où j’ai appris à les voir différemment, à me détacher de cette attente.
C’est simplement que la phrase de votre post dont j’ai cité m’a juste triggered, comme si vous disiez qu’il n’y a aucun blâme à accorder aux parents (comme si on leur enlevait cette responsabilité qu’ils avaient eu dans le passé). C’est en ce sens que je me suis sentie irritée en lisant cette phrase. Cependant, dans le présent cela va beaucoup mieux depuis que j’ai récemment pu intégré qu’il n’avaient fait que de leurs mieux, depuis j’ai su leur étendre de la compassion parce que je suis arrivée à un stade naturelle où c’était possible de le comprendre, d’accepter deux vérités simultanément.
Bien cordialement.
Merci tout de même pour votre blog. J’apprécie beaucoup, j’apprends énormément sur moi… Je me sens soulagée… Comprise…
Continuez l’écriture. 🙂 Vous en aidez plus d’un !