Hyperstimulabilité

Les hyperstimulabilités

Chose promise, chose due. Dans l’article sur la Théorie de la Désintégration Positive de Dabrowski, on a tout juste évoqué en gros les hyperstimulabilités. Mais elles méritent que l’on s’attarde sur chacune d’elles. Pourquoi cela ? Parce que les personnes à Haut Potentiel (HP) ont une forte propension à se reconnaître en elles. D’ailleurs, Dabrowski considérait que les personnes montrant « des aptitudes et des talents spéciaux/exceptionnels » étaient particulièrement susceptibles de démontrer un potentiel de développement accru ainsi que des hyperstimulabilités. De là à parler de douance, il n’y avait qu’un pas que le psychiatre n’avait pas ouvertement franchi. Par ailleurs, les HP ne sont pas les seuls à posséder ces caractéristiques. Michael Piechowski, qui est l’un des principaux successeurs de Dabrowski, a toutefois quant à lui sauté le pas en liant les hyperstimulabilités à la douance. Si en pratique cela a du sens, en théorie les études scientifiques manquent pour affirmer la corrélation. Cela, on y reviendra, mais pour l’instant plongeons dans les hyperstimulabilités.

Origines du concept, définition et vocabulaire

On n’insistera jamais assez là-dessus, le concept d’hyperstimulabilité a été développé par Dabrowski dans le cadre de sa Théorie de la Désintégration Positive (TPD). Il en fait partie intégrante et à l’origine n’est pas pensé pour être sorti de son cadre plus global afin d’être étudié seul. C’était toutefois tentant et, dans les faits, il en a été plus ou moins extrait, ne serait-ce que parce que c’est l’aspect de la théorie le plus « facile » à mesurer.

Un phénomène semblable à l’hyperstimulabilité avait déjà été décrit par un médecin écossais en 1899, bien avant les débuts de la TPD. A l’époque, il était question d’une « réactivité exagérée à des stimuli mentaux et émotionnels qui ne génèrent qu’une réponse limitée chez les enfants ordinaires ». Dans ses premiers travaux, Dabrowski parlait quant à lui « d’excitabilité psychique ». Il n’a vraiment développé et décliné l’hyperstimulabilité que lorsque la TPD a pris corps, rangeant ce concept aux côtés du potentiel de développement et du 3ème facteur, l’ensemble étant requis pour déclencher la désintégration positive. La définition actuelle de l’hyperstimulabilité est « une tendance innée à répondre d’une manière intensifiée à diverses formes de stimuli, à la fois internes et externes ».

On peut noter que non seulement la réaction à un stimulus donné sera plus forte, mais aussi qu’un niveau de stimulation plus faible suffira à déclencher une réponse. Par ailleurs, l’intensité n’est pas qu’une question de force, mais également de diversité ou de nuance dans la perception et dans la réaction. Pour citer Piechowski et Daniels dans leur livre « Living with Intensity » (ma traduction) : « L’hyperstimulabilité signifie que la vie est perçue d’une façon qui est plus profonde, plus colorée et plus fine. Cela ne veut pas seulement dire que l’on éprouve plus de curiosité, de plaisir sensoriel, d’imagination et d’émotion, mais également que l’expérience est d’une sorte différente, d’une qualité plus complexe et richement texturée ». Ils font plus loin dans le même chapitre une analogie entre un raccordement au câble, qui permet de recevoir de nombreuses chaînes de télévision en haute définition, et les canaux limités que l’on peut capter en qualité médiocre avec une vieille antenne râteau.

Alors que l’observation du phénomène n’en était qu’à ses balbutiements, on ne le consignait que chez les enfants, peut-être parce qu’ils faisaient (et font d’ailleurs toujours) preuve de moins d’inhibition, mais dans le contexte actuel, l’hyperstimulabilité s’applique autant aux adultes qu’aux plus jeunes. Enfin, la « tendance intensifiée » fait dorénavant référence à des normes établies statistiquement, et non plus à une vague notion d’exagération.

Quant au vocabulaire à employer, il ne fait pas l’unanimité. Le terme originel a été créé en polonais et les traductions varient. Piechowski explique que la plus littérale serait « superstimulabilité » et que le mot approprié aurait dû être « superexcitabilité ». Toujours est-il qu’en anglais le substantif qui est passé dans la littérature est « overexcitability » (qu’il vous faudra utiliser pour faire de plus amples recherches si vous le souhaitez, même si les anglophones aiment eux-mêmes diversement ce vocable) ; en français, le plus proche serait alors « surexcitabilité ». Heureusement, les premiers traducteurs français ont fort bien fait les choses en retenant le terme « hyperstimulabilité » (plus rarement « hyperexcitabilité »), qui ne contient pas ce sens caché de « trop » ou « d’excès », mais induit simplement l’idée de « plus que la moyenne ». A titre personnel, je préfère également « stimulabilité » à « excitabilité », car le premier véhicule mieux le fait que les réponses possibles au stimulus sont diverses, potentiellement novatrices, et sujettes au contrôle de l’individu qui les crée. Le second est plus fortement lié à la biologie, aux neurones aux muscles, qui délivrent une réaction typique, automatique et qui ne peut varier qu’en intensité ; on perd l’aspect multidimensionnel. Bref, cette fois on n’est pas trop mal lotis chez les francophones ! On avait déjà fait la boulette avec « surdoué », que personne n’apprécie, alors autant bien faire les choses sur de nouveaux concepts !

Pour en finir sur cette partie, il est parfois dit que, comme toutes les caractéristiques qui placent quelqu’un aux extrêmes de la courbe en cloche de la distribution normale, les hyperstimulabilités peuvent être de temps en temps difficiles à vivre. Cela ne vous étonnera pas, j’imagine. Alors ne nous attardons pas.

Les cinq types d’hyperstimulabilités

Faisons-en la liste avant de nous immerger dans chacune d’entre elles. Nous avons donc les hyperstimulabilités (on va introduire « HS » pour faire court) psychomotrices, sensorielles, intellectuelles, « imaginationnelles » (j’utilise ici un néologisme dérivé de l’anglais ; on traduit souvent par « imaginative » faute d’un mot français qui ait le sens strictement approprié) et émotionnelles.

L’hyperstimulabilité psychomotrice :

Il s’agit principalement d’un niveau élevé d’énergie physique et/ou également d’une expression des tensions émotionnelles par des moyens psychomoteurs. Cela se traduit par un besoin de bouger, ou un rythme de parole rapide, même parfois une addiction au travail. En ce qui concerne l’expression de tensions émotionnelles par des moyens psychomoteurs, le mouvement est utilisé pour évacuer la nervosité par exemple, en tapotant sur la table, en jouant avec un stylo, en se balançant sur son siège.

Les comportements qui sont liés à cette HS sont souvent particulièrement observables dans l’enfance, probablement parce qu’en grandissant les personnes trouvent des moyens de canaliser leur énergie. Il est important de se rappeler que ce n’est pas quelque chose à combattre et à inhiber, ce qui veut dire qu’il faut aider les plus jeunes à trouver les canaux efficaces et leur laisser l’opportunité d’exprimer cette énergie (en les autorisant à se lever en classe par exemple). L’adulte sera assez autonome pour trouver ses propres préférences (peut-être un poste de travail où l’on se tient debout, etc).

Il est à noter qu’un niveau élevé d’énergie physique ne va pas forcément de pair avec une bonne coordination ou de manière générale avec les aptitudes souhaitables pour faire du sport. Les personnes sujettes à cette HS peuvent être carrément maladroites et ne pas avoir d’attrait pour le sport.

L’hyperstimulabilité sensorielle :

Un ou plusieurs de nos cinq sens (vue, odorat, goût, toucher, et ouïe) peuvent être particulièrement stimulables et déboucher sur des expériences particulières, positives aussi bien que négatives. Pour certaines personnes, la couleur bleue n’est pas bêtement bleue ; elles peuvent reconnaître et nommer toutes les nuances de cette teinte, et chacune d’entre elles peut leur évoquer quelque chose de spécifique. Les gens qui ont l’oreille absolue présentent vraisemblablement quant à elles une HS auditive, de la même façon qu’il existe des « nez » chez les parfumeurs, des critiques gastronomiques ou des chefs capables d’isoler toutes les saveurs d’un plat et des couturiers fascinés par les matières et le toucher des étoffes. Souvent, l’expérience sensorielle sera liée à des émotions et dans certains cas il est même question de synesthésie lorsqu’un stimulus relatif à un sens génère une réponse ou une association liée à un ou plusieurs autres sens.

Mais les expériences sensorielles ne seront pas toutes agréables pour une personne hyperstimulable. Elle peut trouver les flashes lumineux, les effets stroboscopiques ou une certaine couleur proprement insupportables. Les sons trop forts ou les bruits de mastication peuvent la faire fuir, comme certaines odeurs qu’elle trouve incommodantes ou écœurantes. Non seulement les goûts mais les textures revêtent une grande importance, comme le montre la typique répugnance aux matières gélatineuses. Enfin, l’exemple qui fait toujours sourire, c’est celui selon lequel certaines personnes ne supportent pas les pulls en laine, décousent minutieusement les étiquettes de leurs vêtements (oui, parce qu’en les coupant, ça gratte toujours !), ne portent que des chaussettes sans coutures et ne sont heureuses qu’en survêtements tellement larges qu’elles n’en sentent plus les élastiques. Et ne parlons pas de soutien-gorge à armatures !

L’expression d’émotions par des moyens sensoriels est également associée à cette hyperstimulabilité. Bien sûr, la création artistique en est un terrain de jeu par excellence. Mais on trouve de nombreux exemples dans la vie de tous les jours, comme le fait de choisir une musique gaie ou triste pour l’assortir à notre humeur, ou trouver un effet calmant au fait de caresser la douce fourrure de nos animaux de compagnie.

L’hyperstimulabilité intellectuelle :

On l’a déjà dit, il y a globalement un lien entre les HS en général et le « câblage particulier » des personnes à haut potentiel, en tout cas Dabrowski le pressentait et Piechowski l’affirme (sans que cela soit toutefois formellement démontré, on le rappelle) ; mais concernant cette catégorie d’hyperstimulabilité, il est difficile de ne pas penser à la douance.

Les traits caractéristiques liés à cette catégorie sont une activité mentale intense, un questionnement incessant, une tendance à chercher des problèmes à résoudre et une pensée réflexive (métacognition). Tout cela se manifeste d’une myriade de façons (énumérées par Daniels et Piechowski) qu’on ne peut citer que pêle-mêle : une curiosité insatiable, grand besoin de stimulation intellectuelle, une aptitude aux efforts intellectuels prolongés (avec ou sans penchant pour cela), des centres d’intérêt divers et variés, un amour pour la lecture, des observations pointues, une mémoire visuelle précise, une forte capacité de planification, une recherche de la vérité et de la compréhension, une propension à inventer des concepts novateurs, une persistance dans la résolution de problèmes, une attrait pour la théorie et l’analyse, une préoccupation pour la logique, l’incorporation d’éléments de moralité dans la réflexion, l’intégration de divers concepts et l’indépendance de la pensée. Je pense qu’on a compris… Bien sûr, il n’est pas nécessaire de cocher toutes les cases pour être concerné par cette hyperstimulabilité.

Comme pour les autres HS, il y a des interactions avec le domaine émotionnel. Le perfectionnisme est un exemple de cette intersection. A tout âge, les personnes à l’intellect développé peuvent avoir une tendance à penser que leur performance en ce domaine est ce qui leur donne de la valeur ou les rend aimables. Tout doit donc être parfait et les erreurs sont à proscrire, car elles remettraient carrément la valeur l’individu en question à ses propres yeux. Ce qui explique aussi l’évitement de certaines tâches qui pourraient révéler leur « imperfection ». Par ailleurs, comme elles apprennent sans s’en rendre compte ou presque, elles peuvent penser qu’elles « doivent savoir avant d’apprendre ». Cela peut être handicapant lorsque les connaissances à acquérir sont très spécifiques ou complexes, et le jour où elles y sont confrontées, n’ayant parfois pas eu à développer de techniques d’apprentissage, ces personnes peuvent tout d’un coup conclure qu’elles ne sont pas si intelligentes que ça après tout.

L’hyperstimulabilité imaginationnelle (ou imaginative) :

Comme je l’ai dit plus haut, je mets ici mon grain de sel linguistique (bien que je ne sois pas une spécialiste). « Imaginative » pour traduire « imaginational », je ne le sens simplement pas ! Enfin, peu importe, c’est sûrement une de mes HS à moi qui parle, là.

Einstein aurait dit que « l’imagination est plus importante que la connaissance » et que « c’est un miracle que la curiosité survive à l’éducation formelle ». La curiosité est autant liée à l’intellect qu’à l’imagination, et parfois la délimitation entre les deux peut être un peu floue. Mais il est certain que l’imagination nous pousse à apprendre, ne serait-ce que pour vérifier ce qu’on a inventé ou explorer ce qu’on a pressenti. Comme souvent, il est plus facile de trouver des traits évidents de cette HS chez les enfants que chez les adultes, et la remarque du célèbre physicien le relève également. Chez les plus jeunes, le recours à un ami imaginaire est typiquement lié à cette catégorie, comme le fait d’imaginer des mondes fantastiques entiers ou d’avoir une prédilection pour les créatures magiques. Plus tard, une telle imagination peut être un atout dans les domaines de l’innovation ou dans des productions artistiques. On pense par exemple à J.K. Rowlings, J.R.R. Tolkien ou George R.R. Martin qui ont persévéré à inventer des mondes et des peuples et en ont fait des sagas à succès.

Lorsque l’aspect émotionnel s’en mêle, il y a encore une fois des interactions. Par exemple une tolérance faible à l’ennui en découle et amène les sujets à rêver éveillés ou à se poser tout un tas de questions sur le mode « et si… ? ». Ils peuvent aussi imaginer tout ce qui pourrait mal se passer dans une situation donnée, ce qui peut provoquer un certain immobilisme.

L’hyperstimulabilité émotionnelle :

Elle se manifeste par la présence d’une large palette d’émotions et de sentiments complexes, nuancés et profonds. Leur force est supérieure à la moyenne. Les sujets peuvent percevoir et réagir à des variations minimes de leur environnement ou de leur interaction avec autrui. Non seulement leurs propres émotions sont intenses, mais ils sont souvent particulièrement perméables à celles des autres, ce qui leur permet de développer une grande empathie, de la compassion, et parfois même de la sympathie (littéralement ressentir ce que ressent une autre personne, ce qui peut aller jusqu’à rendre floues les limites entre soi-même et les autres). A l’inverse, leurs sentiments peuvent être communicatifs, comme la joie ou l’enthousiasme.

Ces personnes ont particulièrement besoin de relations interpersonnelles nourrissantes, qui leur apportent de la sécurité et leur permettent de se découvrir elles-mêmes à travers le regard des autres pour développer une saine estime d’elles-mêmes ainsi que leur confiance en elles. Elles forment d’ailleurs des attachements forts avec ceux et ce qu’elles aiment (humains, animaux, lieux, et même systèmes vivants au sens large). Concernant les enfants, il est crucial que les parents et les autres adultes les éduquent aux émotions, sans quoi ils peuvent se retrouver comme une cocote minute, incapables d’exprimer cette surcharge émotionnelle, ou à enterrer leurs émotions au plus profond d’eux-mêmes. De telles décharges d’affects peuvent être paralysantes, voire traumatisantes chez les petits, et une carence en ce domaine peut les poursuivre jusqu’à l’âge adulte (jusqu’à ce qu’ils décident de remédier à la situation, et on peut être vieux avant de se rendre compte qu’il y a un souci).

L’hypersensibilité émotionnelle est un moteur important dans la désintégration positive, car c’est elle entre autres qui pousse ceux qui en sont dotés vers une meilleure version d’eux-mêmes, notamment au travers de l’introspection qui y est liée. Ainsi, ces personnes sont souvent des idéalistes, qui souhaitent aider les autres, protéger l’environnement (non pas seulement pour des raisons logiques ou par utilité), et pourfendre les inégalités et les injustices. Elles sont également prédisposées aux conflits internes, aux doutes, à la honte ou la culpabilité, qui sont l’envers de la médaille de leurs idéaux, ainsi qu’à diverses peurs et anxiétés liées à des questions existentielles telles que la mort, la solitude, le sens de la vie, la vérité, l’amour… Dans un monde où les émotions ne sont pas nécessairement reconnues, honorées et valorisées, elles peuvent plus que d’autres ressentir un malajustement, lié à la fois à la nature et à l’intensité de leurs émotions.

Enfin, il est fréquent d’observer de nombreuses expressions somatiques chez les sujets caractérisés par cette HS, comme des douleurs gastriques, des tensions, le cœur qui s’emballe, les mains moites, et autres manifestations souvent liées à l’activité du nerf vague.

Il y aurait bien plus à dire sur cette hyperstimulabilité, et d’autres articles y reviendront en l’abordant plusieurs angles.

On a vu que les HS ont des liens entre elles, peuvent se nourrir l’une l’autre ou se combiner. Cependant, il est tout à fait possible de ne s’identifier qu’à une d’entre elles, ou à n’importe quel assortiment. Par ailleurs, même si le préfixe hyper- fait référence à une intensité supérieure à la norme, une fois passé ce cap il est raisonnable de penser que les hypersensibilités sont un continuum, et que l’on peut donc avoir plus d’intensité dans l’une ou l’autre.

Voilà, je vous laisse cogiter sur l’éclairage que peut vous apporter cette composante de la théorie de Dabrowski, et très bientôt on en reparlera !

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